Alors qu’il était déjà à la tête d’une œuvre impressionnante, Javier Marías a forcé l’admiration avec Ton visage demain. Un opus en trois volumes - Fièvre et lance, Danse et rêve, Poison et ombre et adieu, traduits chez Gallimard entre 2004 et 2010) - où il transcendait son art romanesque.
L’auteur de Demain dans la bataille pense à moi (Rivages, 1996, repris en Folio) et d’Un cœur si blanc (Rivages, 1993, repris en Folio) prouve encore, avec Comme les amours, qu’il n’a rien perdu de sa verve.
Sa narratrice, Maria Dolz, travaille dans une maison d’édition madrilène. La jeune femme a l’habitude d’écouter les écrivains, de les conseiller, de répondre à leurs demandes les plus fantasques - telle celle, formulée par un prosateur persuadé d’être bientôt couronné par le prix Nobel, qui est à la recherche de deux grammes de cocaïne. Elle connaît donc par cœur les faiblesses, les vanités et les bêtises de chacun, croisant parfois sur son chemin des parasites et des pingres sans amour-propre.
Chaque matin, dans la cafétéria où elle prend son petit-déjeuner, Maria observe un couple qu’elle trouve parfait. Un couple qui semble heureux, complice et serein, dont l’image suffit immanquablement à lui remonter le moral. Lui se nomme Miguel Desvern ou Devern, et elle Luisa Alday. Monsieur est un homme aux « traits fort aimables », vêtu d’une « manière distinguée, légèrement surannée, sans pour autant frôler le ridicule ou l’anachronisme », qui fait partie d’une société de distribution cinématographique.
Or voici qu’il vient subitement à disparaître. Maria apprend qu’il a été poignardé avec un couteau papillon par un indigent, le dénommé Vasquez Canella, qui l’a pris pour un autre. L’éditrice va faire ensuite connaissance avec l’inconsolable Luisa Alday, l’épouse élégante sans ostentation du défunt, qui n’arrive pas à remonter la pente. Elle l’avait repérée à la cafétéria et l’avait même surnommée « la Jeune Prudente ». Par l’entremise de Luisa, Maria rencontre aussi le meilleur ami de Devern, Javier Diaz-Varela, dont elle va devenir la maîtresse. Un étrange personnage tapi dans l’ombre de Luisa, qui soutient à Maria que « la fiction a la faculté de nous apprendre ce que nous ne connaissons pas et ce qui n’arrive pas » et l’entretient du Colonel Chabert de Balzac.
Affûté comme jamais, Javier Marías subjugue le lecteur avec la souplesse de sa prose, l’intelligence de son propos, son sens des situations et des retournements. Nous ne sommes jamais à l’abri, semble-t-il dire, dans ce roman qui parle d’amour et de mort avec une rare virtuosité. Et montre qu’il est toujours dangereux de se trouver au milieu d’une trajectoire… Al. F.