Né en 1846 dans une famille de forgerons et de cuisiniers du Midi, à 13 ans le jeune Auguste Escoffier n'a pas eu le choix : alors qu'il se rêvait sculpteur, il sera cuisinier. Même s'il en conserva quelque frustration, on peut penser qu'il n'a rien regretté.
Cet homme fut un artiste en son genre : non seulement le plus grand cuisinier de son époque. Mais aussi un "simplificateur", toutes proportions gardées, des recettes traditionnelles, réinterprétées dans le sens d'une (relative) légèreté. C'est lui qui réorganisa le service à table, jetant les bases de ce qu'il est encore aujourd'hui. Concevant ses recettes et ses menus comme autant de chefs-d'oeuvre au service de sa patrie, il fut aussi un inventeur : on lui doit, parmi tant d'autres, l'illustre pêche Melba, créée en 1893 en l'honneur de la cantatrice Nellie Melba, dont Marcel Proust prisait fort le talent. Escoffier fut un propagandiste de la cuisine française, dans le renom de laquelle il voyait, à juste titre, "une preuve de notre civilisation". Le premier à créer un journal de cuisine, il publia des ouvrages de recettes qui furent de durables best-sellers, comme Le guide culinaire, paru en 1902.
Extrêmement moderne dans sa démarche, Escoffier inventa la grande cuisine de palaces, transatlantiques et trains de luxe, au Ritz, au Savoy, au Carlton, à Monte-Carlo, Paris, Londres (où il fit l'essentiel de sa carrière) ou New York, travaillant pour des stars qui s'appelaient Edouard VII, Sarah Bernhardt ou Emile Zola -très gourmand, paraît-il, de polenta et de risotto. Sang italien ne saurait mentir.
Mais ce qui ressort le plus, à la lecture de ces Souvenirs culinaires écrits en toute simplicité, c'est la modestie du personnage. Fier de son parcours d'exception, bien sûr, mais qui rougit comme une pucelle quand Poincaré, en 1911, remet la Légion d'honneur au "Napoléon de la gastronomie française". Sa profonde générosité, aussi. Escoffier avait la fibre sociale. Il finança des maisons de retraite pour d'anciens chefs, donna leur chance à d'innombrables jeunes. Il a même écrit un essai visant à "l'extinction du paupérisme". Tout comme un certain Napoléon III, "le Petit", le vaincu de Sedan.
La guerre de 1870, Escoffier l'a faite également, dans des conditions rocambolesques : chef à l'état-major de l'armée du Rhin, prisonnier à Mayence, puis chef de l'état-major captif de Mac-Mahon à Wiesbaden, jamais il ne se laisse démonter par l'adversité. Il parvient à composer un menu avec des sardines à l'huile, du saucisson et des oeufs à la coque ! De même, à Londres, durant la guerre de 14 (où il perdit son fils Daniel), Escoffier déploya tous ses trésors d'imagination pour pallier la disette.
En 1920, il prit une retraite bien méritée, occupant ses dernières années à représenter l'excellence française à travers le monde. Il est mort en 1935. "La cuisine est une science et un art, écrivait-il, et l'homme qui met tout son coeur à satisfaire son semblable mérite d'être considéré". Qui, mieux qu'Auguste Escoffier correspond à cette profession de foi ?