Comme souvent pour ce genre d'ouvrages, il s'agit d'une rencontre professionnelle. Xu Jun avait étudié à Paris, et, séduit par l'œuvre de J.M.G. Le Clézio, pas encore nobélisé, s'était lancé dans la traduction de son roman Désert. Occasion, en 1983, d'un premier échange épistolaire avec l'auteur. Puis, en 1992, le traducteur chinois récidive avec Le procès-verbal, le premier roman de Le Clézio. Ils se rencontrent enfin à Nankin, en 1993, là où l'écrivain français, professeur invité, donnera des cours à partir de 2011-2012. Une tâche qu'il pratique apparemment avec sérieux et assiduité, et qui lui a permis, en outre, de découvrir cette immense Chine, à la civilisation et à la culture de qui il confie avoir voué, depuis tout jeune, un véritable « culte ». Plutôt qu'à l'Inde, en dépit d'un passage sur le Mahabharata, l'autre géant de l'Asie dont on aurait pu le croire plus proche.
C'est Xu Jun qui a eu l'idée de recueillir en volume quinze « causeries » de Le Clézio en Chine, ça fait moins universitaire que « leçons », et ça correspond bien à son image un peu baba cool, en nu-pieds hiver comme été, remarque dans son Avant-propos celui qui est devenu son ami, son « maître chinois ». Dans ce même texte, M. Xu se livre à une critique virulente de la société moderne et du matérialisme, du colonialisme, et se montre à l'écoute d'autrui, épris de justice. Voilà qui ne pouvait que plaire à son hôte, sans doute moins au PCC de Xi Jinping. Le Clézio, dans son Final, écrit à Nankin durant l'hiver 2017, dresse à son tour le portrait de son ami, sa simplicité, son érudition, alors qu'il est issu d'une famille modeste du Zhejiang.
Les « causeries » de Le Clézio sont avant tout littéraires, mais aussi politiques, au sens noble du terme. Ainsi, dans la première, il traite de la littérature engagée, de la place de l'écrivain dans la cité, des droits de l'homme, et de la femme, sujets sensibles en Chine. Dans la cinquième, il milite en faveur du livre, symbole de la résistance de l'universalisme face à la mondialisation, thème amplifié dans le dernier texte, prononcé à Xi'an, en 2017. Le Clézio revient sur la « mondialisation » de la littérature, et célèbre le livre papier, témoin de l'ouverture à l'Autre, notamment la Chine. Il entend que l'écrivain soit un militant pour la paix, comme lui-même, et glisse au passage qu'à ses yeux le roman le plus inventif de tous les temps est le Don Quichotte de Cervantès.
Tout sauf mineures, cesCauseriessont la marque d'un grand écrivain d'une vaste culture, curieux de toutes les littératures du monde. Cela méritait bien un Nobel.
Quinze causeries : aventure poétique et échanges littéraires en Chine - Avant-propos et recueil des textes par Xu Jun
Gallimard
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 19,50 euros ; 224 P.
ISBN: 9782072845895