A lire Le Messie du Darfour, premier roman d’Abdelaziz Baraka Sakin traduit en français, on comprend pourquoi il a fait scandale au Soudan dès sa publication et son succès, en 2012. Et pourquoi l’auteur a dû s’exiler en Autriche, où il a obtenu l’asile politique.
Sur fond de guerre civile interraciale, interethnique, interconfessionnelle (l’une des constantes de l’histoire du pays depuis qu’il existe), d’un trafic d’esclaves noirs par les Arabes qui n’a jamais vraiment cessé, le livre tente de raconter une histoire d’amour déjantée entre Shikiri Toto Kuwa, un jeune gars du Darfour "recruté" par l’armée gouvernementale, qui deviendra chef d’un bataillon de Tora Bora, des rebelles, et "la seule fille du pays à s’appeler Abderhaman", une orpheline réfugiée, adoptée par Tante Khariffiya, une brave marchande de légumes de Nyala, la grosse ville du coin. Violée par des soldats, elle ne rêve que de se venger, et, redoutable pasionaria de la rébellion, n’aura pas de répit avant d’avoir massacré au moins dix de ses tortionnaires, ou de leurs semblables, les affreux janjawids, miliciens gardes-frontières. Leur torride amour est sans cesse perturbé par les circonstances, des histoires adventices qui se glissent comme dans les Mille et une nuits, et aussi l’arrivée d’un prophète, ou d’un derviche, qui se proclame le Messie, et délivre des prêches particulièrement abscons.
Le roman est drôle et tragique à la fois, enlevé, très oriental, chacun en prend pour son grade. Il a aussi le mérite de nous rappeler que le Soudan, même coupé en deux Etats, est toujours plus ou moins en guerre, même s’il ne fait plus la une des journaux. J.-C. P.