C'est en 1953 que Nicolas Bouvier, âgé de 24 ans, a pris la tangente pour la première fois. A l'Est toute, une odyssée fondatrice qui lui prend trois ans et le mène jusqu'au Japon, qui deviendra une terre d'inspiration.
Dès lors, Bouvier est devenu globe-trotteur professionnel. Et l'un des plus grands écrivains-voyageurs du XXe siècle, à partir de 1963 et de son Usage du monde, qui sonne comme le manifeste de toute sa démarche humaniste. Comme il fallait bien assurer le matériel - chez Bouvier on ne roule pas carrosse mais Topolino -, notre homme fit de sa passion un métier, publiant les reportages et les photos de ses pérégrinations.
Tâches moins amusantes, si on l'en croit, il fut aussi accompagnateur pour des tour-opérateurs, conférencier dans les Alliances françaises ou pour Connaissance du monde - tout en râlant contre les conditions et les obligations qu'on lui imposait. C'est pour ça aussi qu'on aime Bouvier : sa franchise, son sale caractère, son humour. Et son courage : il est toujours patraque, mais rien ne l'arrête.
Il a beaucoup voyagé, jusqu'à sa mort en 1998. Et beaucoup publié. Pas tout, semble-t-il, puisque deux spécialistes de son oeuvre, François Laut (auteur de la biographie Nicolas Bouvier : l'oeil qui écrit, (Payot, 2008) et Mario Pasa, ont retrouvé et rassemblé de quoi constituer un ultime recueil, ce Il faudra repartir dont le titre claque au vent comme un drapeau de prière tibétain. Le livre est composite, formé de sept textes, depuis un Genève-Copenhague de l'été 1948 jusqu'à un grand tour en Nouvelle-Zélande à l'été 1992, en passant par une balade en France en 1958, ou un séjour au Canada à l'automne 1991. Variété des destinations, disparité dans l'achèvement des textes : certains, comme le voyage en France, sont de simples "brèves de comptoir". L'Hexagone n'était sans doute pas assez exotique pour le Genevois errant ! En revanche, les ensembles consacrés au Maroc, parcouru à l'automne 1958, ou à l'Indonésie, sillonnée durant l'été 1970, sont remarquables.
Bouvier, qui venait d'Algérie où sévissait la sale guerre, passe dans un Maroc indépendant depuis deux ans à peine (en 1956), libre, pacifique, préfiguration de ce qui aurait pu advenir chez son turbulent voisin. On sait qu'il n'en fut rien. Quant à l'Indonésie, qu'il appelle "le pays de la grâce", il s'en trouve enchanté, préfère le Borobudur bouddhiste au Prambanan hindou, écrit quelques poèmes et note aussi : "Ce pays vous vient par clichés Kodak comme la poésie de Cendrars", son compatriote bourlingueur. Des clichés comme ça, on en redemande, d'autant qu'aujourd'hui Bouvier aurait du mal à trouver ses chères pellicules. Sic transit... Seule l'oeuvre demeure : Il faudra repartir, s'il n'égale pas L'usage du monde, le Journal d'Aran et d'autres lieux ni même Le poisson-scorpion, vient y prendre sa place, et nous invite à relire Bouvier.