Comment sortir indemne d'un livre que l'on vient d'écrire en y mettant tout de soi, tout de ses morts ? Peut-être, en en écrivant un autre. Et pour cela, il faut revenir à l'essentiel, au début de l'histoire, à ce qui fonde son propre humus littéraire. C'est en gros, récit et réflexions mêlés, l'histoire du nouveau livre de Daniel Mendelsohn, écrivain essentiel et auteur américain connaissant mieux que presque personne la littérature antique et classique européenne. Livre après livre, celui-ci s'affirme dans notre champ culturel comme un successeur du déjà regretté George Steiner.
Après la parution des Disparus (Flammarion, 2008, prix Médicis étranger), récit des origines, poignant et d'une splendeur absolue, sur les traces de sa famille victime de la Shoah, Daniel Mendelsohn vit un épisode dépressif profond. Qu'écrire en effet après ce chant de l'absence, ce vide laissé à jamais ? Sur les conseils d'un ami, il revient aux sources. L'Odyssée. Spécialiste en littérature antique, il le lisait, l'enseignait, et finit par avoir vraiment l'idée de son livre lorsque son vieux père vient assister à ses cours et l'accompagne dans un voyage sur les traces d'Ulysse, quelques mois avant sa mort. C'est ainsi que furent retrouvées l'écriture et l'éternité.
Trois anneaux est d'abord l'histoire, ou plutôt « l'image cachée dans le tapis » de cette renaissance. Mendelsohn revenant encore une fois à L'Odyssée s'attache à ce qu'il est, la matrice du récit d'exils par excellence. Il dévide cette histoire à travers tous ceux qui d'une façon ou d'une autre, toujours essentielle, au cours de l'Histoire, eurent à le vivre et à l'écrire : Fénelon d'abord, puis Proust, Auerbach et enfin Sebald. Il y révèle notamment la manière concentrique, faites d'allers et retours, d'anneaux narratifs qui finissent par se rejoindre, dont ces œuvres se sont constituées, sans que le lecteur en ait toujours conscience. Il en résulte une intelligence de lecture à nulle autre pareille, quelque chose comme un passionnant thriller stylistique.