Le 9 mars 1945 en Indochine, le Japon renverse l'administration française du gouverneur général Decoux. Il profite du chaos ambiant et de l'inévitable défaite annoncée pour restituer leurs souverainetés aux royaumes qui proclament leur indépendance : Bao Dai au Vietnam, Norodom Sihanouk au Cambodge et Sisavang Vong au Laos. Jusqu'à la reddition de l'empereur Hirohito, les troupes nippones vont faire régner la terreur par le sabre, les massacres et les viols auprès d'une population condamnée à survivre dans ce huis clos tropical.

En six mois, de mars à août 1945, l'armée japonaise procède en deux temps : d'abord les exactions succédant au coup de force des premiers jours de l'offensive puis la mise en place d'un système concentrationnaire. Dans son entreprise, elle est aidée par la Kempeitaï, la gendarmerie militaire forte de ses 35 000 hommes. On la surnomme la « Gestapo japonaise » tant ses méthodes rejoignent celle de son équivalent nazi dans la cruauté systématique et l'utilisation de la torture. Guillaume Zeller donne des exemples de ces supplices qui soulèvent le cœur. Il raconte comment les prisonniers sont traités dans ces fameuses cages en bambou où on les laisse mourir de faim, de maladie, de souffrance.

A 10 000 kilomètres de Paris, entre les sabres des Japonais et les bombardements américains, ces Européens pataugent dans la pétaudière du Mékong. Malgré les procès qui eurent lieu après la guerre, ces atrocités ont été oubliées parce que ces victimes étaient des coloniaux au service de Vichy, donc des « collabos ». La réalité est plus complexe : 2 650 militaires et 500 civils seraient morts sous les coups de la Kempeitaï.

Dans ce travail qui fait la part belle à l'histoire militaire, Guillaume Zeller rétablit les faits. Il montre que ces Français étaient d'abord occupés à « tenir » dans une région débordée par le tumulte de la guerre du Pacifique et les revendications séparatistes. Le 6 décembre 1946, Hô Chi Minh ordonne l'insurrection d'Hanoï. La guerre d'Indochine commence et les massacres de 1945 passent dans ce que l'auteur appelle « une trappe mémorielle ». Mauvaises victimes d'un temps mauvais, il était juste de rappeler leurs tragiques destins dans la « perle de l'Empire ».