Disparition

Disparition de Pierre Nora, historien « déchiffreur de l'identité française »

Pierre Nora en 2013 - Photo Michel Euler / Pool AFP

Disparition de Pierre Nora, historien « déchiffreur de l'identité française »

Pierre Nora s’est éteint lundi 2 juin. L’historien, fondateur de la revue Le Débat et maître d’œuvre de l’ouvrage collectif Les lieux de mémoire, avait 93 ans.

Par Charles Knappek
avec AFP Créé le 02.06.2025 à 22h41

L’historien et éditeur Pierre Nora, membre de l’Académie française, est mort à l’âge de 93 ans, a annoncé sa famille à l'AFP ce lundi 2 juin 2025.

Grand nom de l’édition, chez Gallimard où il a dirigé plusieurs collections de référence en histoire et en sciences humaines, il a été le maître d'œuvre du monumental ouvrage Les lieux de mémoire, exploration en près de 5 000 pages et trois tomes sur l’identité culturelle et historique de la France qui a marqué une étape clé dans l'historiographie française.

Pilier de Gallimard et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (Ehess), ce lauréat du Grand prix national d'histoire 1993 avait été élu à l'Académie française en 2001.

Pierre Nora, qui partagea sur le tard la vie de la journaliste Anne Sinclair, a aussi été directeur de la revue Le Débat, fondée en 1980 et arrêtée en 2020, et membre fondateur de l'influente fondation Saint-Simon, groupe dissous en 1999 visant à réconcilier le monde économique et social et les milieux politiques.

« Les Lieux de mémoire », une expression entrée dans le langage courant

En 1984, avait paru La République, premier des trois tomes des Lieux de mémoire, expression entrée, depuis, dans le langage courant. Suivront La nation en 1986 et Les France, qu'elles soient politiques, sociales ou religieuses, en 1992.

Au total, 4 760 pages rédigées par une centaine d'historiens, les meilleurs dans leur domaine, dont Georges Duby, Emmanuel Le Roy Ladurie ou Marc Fumaroli, qui ont profondément transformé le paysage intellectuel français.

« J'ai voulu étudier la mémoire nationale et, plutôt que de faire des généralités, il m'a paru plus excitant d'étudier les lieux (emblèmes, symboles, musées, archives, institutions etc.) où elle s'est condensée et exprimée », expliquait-il en 1984.

« Cela n'avait pas été fait ou était épars. Rien, ou pas grand-chose, sur la Marseillaise, sur les mairies, sur les monuments aux morts... Il y avait un manque, une sorte de point aveugle d'une histoire qui ne s'était pas regardée elle-même », ajoutait-il.

Pierre Nora a fait surgir « un nouvel objet d'histoire », a résumé l'historien René Rémond, à propos de cette somme qui traite du Panthéon, du Tour de France, du Code civil, de l'encyclopédie Larousse, des funérailles de Victor Hugo, de Khâgne, de la forêt ou encore de la vigne. Pour la première fois, le phénomène commémoratif était traité en profondeur.

Pilier de Gallimard

Né le 17 novembre 1931 à Paris, Pierre Nora est issu d'une famille de la grande bourgeoisie juive parisienne. Agrégé d'histoire en 1958, il part en pleine guerre d'Algérie enseigner à Oran d'où il ramène en 1960 un essai de psychologie collective Les Français d'Algérie.

Dès 1966, il dirige chez Gallimard le département d'histoire et de sciences humaines où il crée successivement les collections « Bibliothèque des sciences humaines », « Témoins » et « Bibliothèque des histoires ». Il y restera 57 années sur lesquelles il était revenu dans Une étrange obstination, paru en 2022.

En 1971, il dirige avec Jacques Le Goff la publication de Faire l'histoire, une enquête en trois volumes sur la civilisation dans ses manifestations les plus quotidiennes (la cuisine), les plus intimes (le corps), individuelles ou collectives (la fête), façonnées par l'évolution des techniques, des mœurs ou de l'environnement.

« Penser la nation sans nationalisme »

De 1974 à 1980, il publie en sept volumes, co-dirigés avec Jacques Ozouf, l'érudite édition critique du journal de Vincent Auriol (Journal d'un septennat). Par la suite, il se consacre à l'élaboration des Lieux de mémoire.

Cet intellectuel que L'Express qualifia de « déchiffreur de l'identité française », qui affirmait qu'il fallait « penser la nation sans nationalisme » et qui passait pour dédaigner le pouvoir, intervenait fréquemment sur les sujets les plus sensibles de l'Histoire de la France contemporaine, depuis la guerre d'Algérie.

Il était devenu en 2007 président de l'association « Liberté pour l'histoire », qui défend la liberté d'expression des historiens contre les interventions politiques. « Ce n'est pas au juge ni au législateur de dire l'Histoire », affirmait-il.

Pierre Nora, qui a été marié à l'historienne de l'art et conservatrice de musée Françoise Cachin, décédée en 2011, était le frère de Simon Nora, mort en 2006, haut-fonctionnaire et ancien directeur de l'ENA.

Dans Jeunesse, une autobiographie publiée en 2021, l'académicien dressait un catalogue de ses « échecs » qu'il jugeait providentiels, à l'intention d'Elphège, son fils unique, biologiste, qu'il n'a pas élevé.

Dans un communiqué, la présidente du Centre national du livre Régine Hatchondo a rendu hommage à Pierre Nora : « Historien passionné de la France, des lieux et des imaginaires qui l’ont progressivement fondée, éditeur imaginatif et inspiré, fondateur de revue toujours combatif mais élégant : Pierre Nora était tout cela et bien plus encore, un modèle de rigueur et de sensibilité mêlées pour toute une génération de penseurs. Son héritage est immense pour les sciences humaines et son itinéraire si singulier continuera à inspirer, à n’en pas douter. »

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