Le
Street art, cet « art urbain », qui s’étend de Miss Tic à Banksy, suscite des interrogations lorsque les créations très protéiformes que cette appellation recouvre sont exploitées par des éditeurs, qu’il s’agisse d’une tentative de monographie, d’un livre sur le paysage des villes ou d’un cahier illustrant le rap, les tags ou encore les mouvements contestataires.
Expliquons, une nouvelle fois, que les œuvres d’art sont largement protégeables par le droit d’auteur. Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) précise en son article L. 112.1 du même code, souligne que ce droit est conféré à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination, ce qui n’est pas négligeable quand on parle de
Street Art …
La notion d’œuvre de l’esprit n’est pas définie par le Code mais l’article L. 112.2 du CPI énumère une liste non exhaustive de créations considérées comme telles. Selon l’article L. 112.2 «
Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code : […] 8° Les œuvres graphiques ». Ce type d’œuvre de l’esprit semble être le plus susceptible de correspondre aux œuvres de
street art, ce qui permettraient aux auteurs de bénéficier d’une protection à ce titre. Rappelons toutefois que le critère principal pour obtenir la protection par le droit d’auteur est l’originalité de l’œuvre.
Or, le
street art, ou art urbain, est un mouvement artistique qui apparaît lors de l’invention de la peinture en bombe aérosol dans les années 1960/1970. Le mouvement se développe alors à New York avec Jean-Michel Basquiat, tandis qu’en France Ernest Pignon Ernest et Gérard Zlotykamien sont considérés comme les précurseurs de l’art urbain.
Le street art, comme son nom l’indique, s’exprime dans la rue, donc l’espace public. Cette forme d’expression, d’origine parfois protestataire, s’utilisait notamment en signe de contestation à l’encontre du système ou comme moyen de revendication politique. Les murs et bâtiments des villes deviennent ainsi le support idéal offrant la visibilité recherchée.
Les graffitis se pratiquent généralement de manière anonyme, illégale et n’ont pas vocation à durer dans le temps. Ces éléments caractéristiques du
street art expliquent en partie les difficultés rencontrées pour mettre en place une protection au titre du droit d’auteur. Si le
street art nous apparait comme une œuvre susceptible d’être protégée par le Code de la Propriété Intellectuelle, il n’en demeure pas moins une dégradation répressible par le Code Pénal et une atteinte au droit de propriété protégée par le Code Civil.
Si l’œuvre d’art urbain paraît protégeable au titre du droit d’auteur en remplissant le critère d’originalité, elle se distingue toutefois des œuvres « classiques », par son caractère éphémère.
La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, adoptée en 1886, présente l’originalité, dans son article 2.3, comme une condition de la protection de l’œuvre par le droit d’auteur. Ce critère est uniquement évoqué à l’article L. 112.4 du Code de la Propriété Intellectuelle relatif au titre d’une œuvre de l’esprit, mais néanmoins considéré comme applicable pour les œuvres elles-mêmes. Dans la conception jurisprudentielle française, l’originalité d’une œuvre signifie qu’elle doit porter «
l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».
Space Invaders
Ce critère d’originalité peut parfois sembler obscur, subjectif et paraît être apprécié strictement par les juges. Nous pouvons évoquer à ce titre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 7 mai 2014. Il s’agissait, en l’espèce, de la reprise dans plusieurs illustrations d’une idée issue du mouvement de street art. Cette idée consistait selon la cour à «
anthropomorphiser les objets pour en transmuter la banalité de manière poétique, humoristique, onirique ». Or, la cour rétière l’adage attribué au doyen Henri Desbois selon lequel les idées sont «
par essence et par destination de libre parcours ». Ainsi, à l’instar des œuvres classiques, la reprise d’une idée que l’on retrouve dans certaines œuvres de street art, ne peut être protégée par le droit d’auteur.
De la même façon, dans un jugement rendu le 14 novembre 2007, le Tribunal de Grande Instance de Paris insiste sur le fait que les idées sont libres de parcours et par conséquent, ne sont pas protégeables. Néanmoins, les modalités d’appréciation de l’originalité retenues pour l’œuvre de
street art en cause nous éclaire sur l’interprétation des juges. Il s’agissait d’un litige relatif à l’utilisation de pictogrammes réalisés par l’artiste Space invaders. En vertu de ce jugement, pour caractériser une œuvre de
street art protégée par le droit d’auteur, les juges ont pris en compte la réalisation de l’idée, c’est-à-dire sa formalisation, mais également «
la nature des supports urbains » et «
le choix de l’emplacement de l’œuvre ».
Mais comme écrit plus haut, si l’originalité constitue l’une des conditions communes à toutes les œuvres de l’esprit, l’élément propre à l’œuvre de
street art réside dans son caractère éphémère. Et l’œuvre d’art urbain se caractérise notamment par son caractère éphémère dans la mesure où il est le plus souvent réalisé sur un support, meuble ou immeuble, soumis aux aléas extérieurs (intempéries, dégradations, effacement). Les artistes de
street art ont naturellement conscience de cette particularité à l’origine du
street art et agissent en connaissance de cause.
Des trains pas comme les autres
Cette spécificité est affirmée par la cour d’appel de Paris dans une décision du 27 septembre 2006 dans laquelle sont qualifiés d’œuvre « éphémère » les graffitis réalisés sur des wagons. En l’espèce, la société de transport SNCF souhaitait obtenir des dommages et intérêts de la part du magazine GRAFF IT ! PRODUCTIONS pour la publication de photographies de trains tagués. Or, la cour d’appel confirme le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en précisant que les wagons étaient uniquement support de graffitis, reconnus comme œuvres éphémères et n’étaient pas reproduits à titre principal.
En outre, soulignons que, en France, conformément au CPI, l’œuvre est protégée par le droit d’auteur dès sa création. Le caractère temporaire de ces œuvres ne doit donc pas constituer un obstacle à la protection accordée à l’auteur. Aux États-Unis, le caractère éphémère n’est pas non plus pris en compte. Nous pouvons évoquer, à titre d’exemple, un litige opposant vingt et un «
aerosol artists » au promoteur immobilier du site 5Pointz qui, durant la nuit, recouvrit de peinture blanche les fresques murales pourtant autorisées par lui-même. En première instance, dans une décision rendue le 12 février 2018, pour justifier la condamnation du promoteur, la juridiction new-yorkaise vient préciser que le Copyright Act ne tient pas compte du caractère éphémère du
street art. Le 20 février 2020, en deuxième instance, la cour d’appel fédérale américaine a confirmé le jugement et souligné à nouveau le caractère éphémère de l’œuvre. Il suffit donc que l’œuvre soit fixée sur un support pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur.
Toutefois, le
street art a fini par se développer d’une autre façon que la création dans l’espace public. Les
street artistes se multiplient et l’on constate une tendance à s’éloigner de la pratique initiale pour réaliser des œuvres plus conventionnelles sur tableaux qui sont présentés en galerie d’art urbain et même vendus aux enchères. On constate ainsi le passage d’un caractère éphémère à un caractère permanent.
Si l’œuvre de
street art peut être protégée par le droit d’auteur, il convient à présent de nous intéresser aux droits accordés aux auteurs d’une telle œuvre. L’auteur d’une œuvre de
street art bénéficie, au même titre que les autres artistes, de droit moraux et patrimoniaux sur son œuvre. En outre, le
street art gagnant en notoriété, les auteurs sont de plus en plus nombreux à souhaiter adhérer à la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) pour une gestion collective de leurs droits.
(à suivre)