Un père, impair. On sait, depuis que les filles de Marlene Dietrich ou de Joan Crawford en ont témoigné, qu'être l'enfant d'une étoile n'est pas toujours facile. On sait aussi, et peut-être plus encore, que les amants hédonistes de l'après-guerre ont souvent confondu leurs aspirations libertaires et amoureuses avec un implacable égoïsme et que d'adultes à enfants, la liberté des uns fut souvent le chagrin, l'angoisse, l'inquiétude des autres. C'est à tout cela que l'on pense, à cet écheveau des rendez-vous remis sans cesse, en lisant le si douloureux et poignant livre du poète Stéphane Crémer, Le rôle du père.
Oui, Crémer, comme le commissaire Maigret, comme l'ogre des films de Brisseau, l'officier perdu de ceux de Schoendoerffer, le mari disparu de Sous le sable d'Ozon, entre des dizaines d'autres incarnations. Un corps, massif, une voix, une présence à nulle autre pareille dans le paysage du cinéma français de la seconde moitié du siècle dernier : Bruno Cremer, donc. Stéphane, c'est son fils. Ce qui ne va pas dans cette proposition liminaire et qui justifie que ce dernier y consacre un livre, c'est ce pronom possessif. « Son » fils. L'un l'espère, l'autre le refuse. Vieille histoire. Qui trouve ici sa source un jour des 13 ans de l'enfant lorsque le père demande au fils « qu'est-ce que ça te ferait si ta mère se prostituait ? » La question n'appelle pas de réponse. Elle est tout de même de celles qui font peser sur une vie entière un climat de menace, d'abandon. Le reste sera à l'avenant, entre indifférence et inconséquence de l'un, rage et dissimulation de l'autre.
C'est par l'écriture, notamment par celle d'une première échappée autobiographique, Comme un charme (Denoël, 2006), que Stéphane Crémer a échappé à sa funeste prédestination de fils nié. C'est donc par elle qu'aujourd'hui, quatorze ans après la mort de son père, il s'en délivre tout à fait. Il le fait de la seule manière durable qui soit, avec les armes létales du style. Et c'est ainsi que ce qui aurait pu prendre les contours gênants d'un règlement de compte devient avant tout l'histoire d'une libération, des chemins qui y ont mené. Le monstre sacré n'est plus sacré du tout. Et pour ce qui est du monstre, ce n'est plus le problème de son fils. Le souvenir de son cher public y pourvoira.
Le rôle du père
Grasset
Tirage: 6 500 ex.
Prix: 17,50 € ; 160 p.
ISBN: 9782246838241