Les temps changent au rayon sport. Radicalement. Le rythme des sorties en librairie n’épouse plus, comme par le passé, les hauts et les bas du calendrier des grands événements planétaires. Il s’en éloigne même, et il ne se trouve guère d’éditeurs pour le regretter. L’année 2014 en est la preuve. Au programme, les jeux Olympiques d’hiver à Sotchi, puis le Mondial de football au Brésil : deux poids lourds de l’actualité, deux mastodontes de l’audimat. Or la production éditoriale ignore quasiment le premier tout en observant le second avec un mélange de scepticisme et de fatalisme.
Les jeux Olympiques ne font plus vendre depuis longtemps. Un seul des habitués du marché, Jacob-Duvernet, a osé s’y risquer à l’occasion des JO d’hiver de Sotchi. Il a publié en fin d’année passée Jeux Olympiques d’hiver : la belle histoire des champions français, une galerie de portraits des héros de la quinzaine du blanc, de Killy à Lamy-Chappuis, signé par Jean-Pierre Vidal, lui-même médaillé d’or en slalom en 2002. "Une opportunité, explique Louis de Mareuil, l’éditeur. Peu de choses existent sur le ski. Et nous savons diffuser ce genre d’ouvrages dans les stations de sports d’hiver." Ailleurs, rien de rien. Pas même un guide de l’événement.
Sortir de l’immédiat
La Coupe du monde de football, réputée plus porteuse, révèle elle aussi la nouvelle donne du marché. Peu de sorties annoncées, malgré la présence des Bleus dans le tournoi et son organisation au Brésil, le pays du football. Certes, Solar a fourbi ses armes en proposant un beau livre sur les grands matchs France-Brésil, un guide officiel de la Fifa, une enquête sur le Portugais Cristiano Ronaldo et un album des 50 héros pour le Mondial 2014, paru dès l’automne 2013. Mais Jean-Louis Hocq, son directeur, n’en fait pas mystère : "Même si l’année 2014 est très marquée par le football, le Mondial s’annonce assez incertain. Il est encore difficile d’en prédire l’impact sur les ventes." Signe des temps : Solar s’est bien gardé de jouer la carte de l’équipe de France, s’interdisant le risque de parier sur une biographie de joueur.
La tendance se révèle encore plus forte chez Hugo éditions, l’une des autres figures du marché du livre sportif. Son P-DG, Hugues de Saint Vincent, admet une production à la hausse en 2014, avec 38 ouvrages parus ou à paraître, contre 29 l’an passé. Mais seuls deux d’entre eux porteront la marque du Mondial brésilien : un carnet de la Coupe du monde et un livre-jeu sur l’événement. Du classique. La même prudence, teintée d’un fort scepticisme, a poussé les éditions L’Equipe à réduire la voilure sur un tournoi mondial dont les chaînes de télévision espèrent pourtant un jackpot. Deux titres, pas un de plus : un quiz et un livre illustré sur les buts des Bleus à travers l’histoire. "Nous n’en attendons pas forcément des performances extraordinaires", reconnaît Laurence Gauthier, la responsable du département.
Généralistes ou spécialisés, tous les éditeurs s’accordent sur un constat : l’actualité se vit désormais en instantané, à la télévision et sur Internet. La presse en souffre, au point de craindre pour sa survie. Pour ne pas subir le même sort, l’édition s’en écarte. Pour Laurence Gauthier, "le public dispose aujourd’hui d’un contenu complet, immédiat et gratuit. Pour le convaincre d’acheter un ouvrage, nous devons travailler nettement plus le produit en explorant un terrain et des angles d’attaques nouveaux." Plus question, donc, de vivre sur ses acquis. Sur le marché du livre de sport, l’édition n’a pas d’autre choix que de mettre ses vieilles habitudes au clou et de faire preuve d’audace. "Nous devons bousculer les codes, résume Hugues de Saint Vincent. Je ne m’en plains pas. Cette situation incite à innover et à faire des choix. Mais ces efforts d’imagination sont souvent payants."
Hugo & Cie revendique une "très bonne année 2013" pour son département sport, dopé par les ventes de deux enquêtes, The secret footballer et Racaille football club, toutes les deux supérieures à 20 000 exemplaires. Un double succès que l’éditeur espère confirmer ces prochains mois en creusant encore le sillon du document d’analyse et d’investigation aux frontières du sport, de la politique et du fait de société. Pour Hugues de Saint Vincent, "il existe un vrai lectorat qui cherche à comprendre et veut lire entre les lignes. Un lectorat en attente d’une production plus ambitieuse et décalée que la biographie de champion ou le guide événementiel". Dans cet esprit, l’éditeur a prévu pour ce début 2014 un document sur la rivalité entre le PSG et l’OM, une autobiographie de Rudi Garcia, l’ancien coach de Lille désormais aux commandes de la Roma, plus un livre au vitriol sur les années Lance Armstrong, Itinéraire d’un salaud, sorte de making of du scandale de dopage de l’ancien coureur texan, écrit par deux journalistes du Wall Street Journal.
Moins prolifique, avec seulement quatre ouvrages au premier semestre, Jacob-Duvernet cherche lui aussi à "casser les codes" et à renouveler le genre, comme avec le Roman de Bernard Hinault, cosigné par l’ancien vainqueur du Tour de France et l’écrivain Christian Laborde. "L’ambition du livre est de s’éloigner d’une autobiographie classique pour chercher à comprendre ce qui fait un champion, explique Louis de Mareuil. Le parcours de Bernard Hinault est romancé, Christian Laborde a travaillé comme un écrivain, pas comme un journaliste." L’éditeur attend beaucoup du livre. D’une façon générale, il admet diminuer sa production pour se concentrer sur des livres à "fort potentiel", soutenus par une "mise en place importante".
Même son de cloche chez Solar. Jean-Louis Hocq se réjouit d’une année 2013 où le "livre de sport n’a pas souffert comme le reste du marché". L’éditeur a enregistré des résultats en hausse de 2 % en valeur, avec une excellente fin d’année, "la meilleure depuis longtemps". Une progression qu’il entend confirmer en 2014 grâce à une politique volontariste et, dit-il, "en prenant des risques, en bougeant les choses, en bousculant nos habitudes". Solar a procédé à un sérieux lifting de sa collection historique d’annuels, ses six "Livre d’or" (foot, basket, F1, moto, rugby et cyclisme) dont les ventes ont progressé en 2013. "Ils avaient tendance à vieillir, nous les avons dépoussiérés avec un concept refondu et une nouvelle maquette", explique-t-il.
En avril, Solar espère créer l’événement avec la première biographie officielle de Fabien Galthié, l’ancien capitaine du XV de France, aujourd’hui entraîneur à Montpellier. Un ouvrage édité avec France Télévisions, où l’ex-demi de mêlée parle de lui et de sa vision du rugby d’un "ton tranchant et sans tabou". Autre temps fort de l’année pour Solar : un "plan ambitieux" sur le PSG, nouveau riche de la Ligue 1 avec lequel l’éditeur a signé un accord de partenariat.
Plus discrètes dans les rayons sport, les éditions de La Martinière n’en délaissent pas pour autant le genre. Roman Perrusset, responsable de la collection de documents, se félicite de ses choix récents. Cadrages & débordements, le témoignage de Marc Lièvremont sur son passage à la tête de l’équipe de France de rugby, a dépassé les 38 000 exemplaires vendus. Ma mauvaise réputation, l’autobiographie de Mourad Boudjellal, l’atypique président du Racing Club de Toulon, a atteint les 13 000 ventes. "Les titres de sport figurent parmi les documents qui marchent le mieux", constate l’éditeur. A condition, toutefois, de cibler ses efforts sur des personnalités au parcours assez épais et contondant pour révéler une part d’ombre. En mai prochain, La Martinière proposera une biographie autorisée de Cédric Pioline, l’ancien numéro 1 du tennis français. "Un rebelle", résume Roman Perrusset. Autre projet : une enquête sur le dopage, au contenu encore confidentiel, prévue pour le mois d’octobre.
De son côté, First n’annonce qu’un document sportif cette année, mais Laurent Boudin, directeur éditorial pour les documents et essais, en espère beaucoup. L’imposture du sport, une enquête à charge menée par le journaliste et écrivain François Thomazeau, s’attaque au revers de la médaille, le dopage, par un tour d’horizon ambitieux des pratiques et usages les plus douteux des différentes disciplines. "Le bouquin va très loin et devrait faire parler de lui", anticipe l’éditeur.
S’adresser aux pratiquants
A L’Equipe, Laurence Gauthier observe la courbe des ventes avec un même sourire. Le chiffre d’affaires du département édition du groupe Amaury a augmenté de 9 % l’an passé. Les perspectives s’annoncent également favorables, avec une production de 15 à 20 nouveaux titres en 2014. L’éditeur spécialisé partage ses forces entre un souci de conservation, avec ses trois annuels (Football, Rugby, Le livre de l’année), et la nécessité d’innover. Il a ainsi lancé en octobre dernier SpaceLeague, une série de romans de SF pour la jeunesse, ainsi qu’une collection de BD avec Dupuis, dont le troisième tome est annoncé pour le printemps. Une politique confortée par les résultats. Le livre de l’année 2013, sorte de compilation des articles parus dans le quotidien, vendu en librairies et dans le réseau presse, s’est écoulé à 40 000 exemplaires sur une période de vente pourtant réduite à quelques semaines.
A L’Equipe comme ailleurs, l’innovation n’est pas le seul mot d’ordre à être proféré dans les réunions de travail. Une autre ligne de conduite, observée depuis quatre ou cinq ans mais aujourd’hui plus forte que jamais, s’est imposée comme une évidence chez presque tous les éditeurs : savoir parler aux pratiquants. En clair, oublier les états d’âme des vedettes du ballon rond ou des cracks de la raquette pour s’intéresser aux sportifs du dimanche. Avec un angle d’attaque : la forme.
Amphora, un acteur historique du marché, a été l’un des premiers à sentir le vent tourner. Son best-seller, la Méthode de musculation d’Olivier Lafay, a encore trouvé l’an passé plus de 45 000 acheteurs. Depuis sa première édition, il y a dix ans, l’ouvrage a été vendu à 400 000 exemplaires, selon l’éditeur. Phénoménal. En 2013, la maison parisienne a vu ses résultats augmenter de 3 % en valeur. Une progression portée par ses nombreux ouvrages sur la forme et la condition physique. Le plus récent, La bible de la préparation physique, a atteint 10 000 ventes depuis sa sortie en juillet dernier. Elle sera bientôt déclinée en trois versions plus spécifiques, pour toucher toute la palette du public.
"La méthode Lafay a ouvert une voie, explique Grégorie Lartigot, le directeur des ventes et du marketing. Nous sommes aujourd’hui de plus en plus concurrencés, mais nous avons les armes pour répondre grâce à un solide réseau d’auteurs." L’an passé, Amphora a encore diversifié son offre avec des manuels consacrés au football féminin, au cross-training et au futsal. Il annonce pour le printemps un titre dédié au marathon et au semi-marathon, puis deux autres orientés vers le golf et l’équitation. Et prévient : "Nous souhaitons que 2014 soit la meilleure année de notre histoire. Avec 35 nouveautés, contre 20 à 25 les années précédentes, elle devrait faire exploser les compteurs."
La concurrence s’organise. L’Equipe, par exemple, devrait publier pour la seule année 2014 quatre nouveaux titres dédiés à la pratique d’exercices, dont les versions françaises de deux guides de condition physique développés par un auteur américain sur le principe d’un programme en sept semaines. Egalement dans les tuyaux, un ouvrage de cyclisme destiné à accompagner les amateurs dans leur préparation de "l’Etape du Tour".
Solar se félicite pour sa part d’avoir déniché, avec Erwann Menthéour, un nouvel auteur à succès. L’ancien cycliste professionnel, reconverti dans le fitness, a développé une méthode très novatrice, le "fitnext", mélange de programme sportif et de manuel de nutrition. Depuis trois ans, ses ventes grimpent à un bon rythme, pour le placer en deuxième position derrière l’indéboulonnable Olivier Lafay. Surtout, Solar a convaincu Erwan Menthéour de réaliser un deuxième opus, Et si on arrêtait de se mentir, paru en janvier. Le succès n’a pas tardé. "Le livre est parti très fort, avec plus de 2 600 exemplaires dès sa première semaine, assure Jean-Louis Hocq. Il est soutenu par une importante campagne de promotion. Au rythme actuel, ce titre peut devenir un véritable phénomène."
Signe des temps, First donne une dimension sportive à sa collection "Pour les nuls". L’année 2014 verra deux nouveaux titres enrichir la série : La randonnée pour les nuls, puis Le vélo pour les nuls. "Dans les deux cas, l’idée est de rester dans le ton habituel, en privilégiant la simplicité, la clarté et l’humour", explique l’éditeur. Pour lui, le sport a toute sa place dans la collection. "J’imagine pas mal de terrains à explorer, dit-il. Mais en accordant la priorité aux disciplines dotées d’un grand nombre de licenciés."
Hachette Pratique emprunte la même voie. L’éditeur a enrichi l’an passé son catalogue d’un manuel de Musculation. Il lui ajoutera en mars une version consacrée au fitness. "Nous sortirons également un ouvrage en semi-poche sur le cardio-training, traduction française d’une méthode d’entraînement d’un coach américain", annonce Anne Le Meur, directrice de collection. Pour le mois d’octobre, Hachette annonce un beau livre sur le running, 80 marathons du monde. Sa cible : le coureur amateur, adepte du bien-être et de la forme. Coureur et lecteur.
Le sport en chiffres
Les meilleures ventes en sport en 2013 : so foot
Pas de doute : le football reste le sport numéro un, au moins en termes d’impact et de popularité. Il occupe cinq des dix premières places de notre classement Ipsos/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres de sport de l’année 2013, dont deux pour un même titre, Tout seul, le témoignage de Raymond Domenech sur les dessous du Mondial 2010, dont la version poche se taille un beau succès. Pour le reste, 2013 a confirmé la position dominante du "phénomène" Olivier Lafay, dont la Méthode de musculation pointe encore au 3e rang, dix ans après sa première édition. En version féminine, l’ouvrage a trouvé un lectorat également très nombreux (9e place).
Petites histoires secrètes du rugby de Bernard Laporte (15 000 exemplaires selon son éditeur, Solar) confirme le succès commercial des livres signés par d’anciens sélectionneurs (Lièvremont, Domenech…). Jappeloup, écrit par Pierre Durand, champion olympique de saut d’obstacles en 1988, a grandement profité du succès du film du même nom, avec Guillaume Canet dans le rôle du cavalier. Enfin, le parcours très respectable de Jours de fête : la grande histoire du Tour de France (19e), luxueuse anthologie de la Grance Boucle signée Françoise et Serge Laget, vient démontrer que le beau livre illustré a encore un avenir.