Saisons sauvages (disponible en Folio) paru en France en janvier 2010, quelques jours à peine après le tremblement de terre dévastateur, se situait à Haïti dans les années 1960 entre dictature et cyclone. Dédicacé "aux survivants du séisme du 12 janvier 2010 », Aux frontières de la soif nous embarque cette fois encore >dans ce pays >où la nature et la politique entrent en collision pour le pire, dans les marges de survie de l'île meurtrie, un an après l'apocalypse, entre les deux tours de l'élection présidentielle.
A Pétion-Ville, dans la périphérie de Port-au-Prince, Fito Belmar, 55 ans, vit comme membre de la classe moyenne aisée. Architecte et écrivain à succès mais qui n'a rien écrit depuis cinq ans, il est deux fois divorcé, père d'une adolescente et poursuit une liaison avec Gaëlle, "la femme de sa vie du moment », qui le presse de s'engager. Le bar du rentier Franck l'accueille, lui et ses amis, pour des soirées de solitude alcoolisée où le quinquagénaire essaie d'oublier ce qui le tient : ses visites du vendredi soir au camp de réfugiés de Canaan, où il achète des petites filles. Depuis plusieurs semaines, guidé par "l'oncle », il pénètre dans ce "bidonville officiel en devenir » où s'entassent des dizaines de milliers de déplacés. Le campement provisoire, improvisé dans l'urgence, est devenu ville où tout a un prix. Ainsi Ketia, Fabiola, Rosemé, Esther, Medjine, Mirline... des enfants de 12 ans, ont-elles été contraintes de le suivre sous une tente pour une heure de sexe payée à l'avance et en dollars américains. C'est cet homme las de tout, vide d'émotions, torturé par un désir impossible à contenir autant que hanté par la honte, qui accueille Tatsumi, une Japonaise célibataire dont l'écrivain a fait la connaissance par e-mail. En reportage à Haïti pour quelques jours, l'étrangère lui inspire des sentiments mélangés : elle l'agace avec ses réflexions sur le climat, son envie de se montrer conciliante et compatissante... Et, s'il la juge séduisante, il ne parvient pas à la désirer...
Kettly Mars aime son pays martyrisé. D'un amour douloureux et amer. Les accents de tendresse, quand elle égrène le nom des lieux que Fito et Tatsumi traversent sur le chemin de la mer, vers la Grande-Anse et l'espace abrité d'une maison sur la plage où ils séjourneront pour une parenthèse de rédemption, peinent à adoucir la violence du constat. A travers la voix des petites filles violentées, une colère sourde imprègne le roman. Catastrophe sanitaire, eau plus rare et chère que la marijuana, promesses déçues des politiques, impuissance des humanitaires, intérêt malsain des journalistes... la romancière peint la désolation devenue l'ordinaire et côtoyant des îlots de verts paradis perdus. "Comment une même terre pouvait-elle engendrer tant de frontières ? » Et comment remonte-t-on les marches de l'enfer ?