Sortir des chapelles, pour les éditeurs de livres religieux auxquels nous consacrons le dossier de ce numéro. Sortir des amphithéâtres et des laboratoires, pour de nombreux éditeurs scientifiques et universitaires comme Quæ, dont nous rendons compte des initiatives cette semaine. Sortir des hôpitaux ou des ateliers, pour les éditeurs médicaux ou techniques. Dans tous les domaines, l’édition spécialisée cherche à s’extraire de son milieu naturel, de plus en plus perçu comme un ghetto, pour toucher le "grand public", par le jardinage pour les éditeurs d’agronomie, le bricolage pour les spécialistes du bâtiment, ou encore le développement personnel pour les experts en psychologie.
Cette aspiration à la diversification des publics s’explique dans une large mesure par la transformation en services numériques d’une bonne part des produits de l’édition spécialisée, pour la clientèle de laquelle le livre a parfois perdu de sa pertinence. Nous avons décrit il y a deux ans (1) l’effondrement de la part des STM (sciences, techniques, médecine) dans le chiffre d’affaires de l’édition, de 6,2 % à 3 % entre 1992 et 2012, et de celle des dictionnaires, des encyclopédies et de la référence, de 18 % à 3 % pendant la même période. La part des sciences humaines s’est également réduite de 12,4 % à 9,3 %. Hors scolaire et parascolaire, l’édition française s’est recentrée autour des secteurs dits de l’"entertainment", c’est-à-dire des loisirs : littérature, pratique, jeunesse, bande dessinée.
Paradoxalement, les éditeurs spécialisés affichent l’ambition de s’ébattre sur le marché de l’édition grand public au moment où, sous l’impact de la démultiplication des sources d’information et de l’évolution des habitudes d’achat, celui-ci tend à se morceler. Les éditeurs généralistes eux-mêmes sont conduits à repenser, notamment à travers les nouveaux réseaux sociaux, les moyens d’atteindre les lecteurs de leurs livres, plus ou moins agrégés en communautés diverses et mobiles. Un autre défi.
(1) "Les vingt ans qui ont changé l’édition", LH 1000, du 30.5.2014, p. 10-13.