"Sans limites, l’être humain n’est qu’une panique en vadrouille." Que dire s’il se retrouve propulsé dans un espace-temps indéfini, d’un blanc immaculé? Un espace habité par six autres femmes qui étaient de parfaites inconnues jusqu’alors. Ulrike n’a que 17 ans. Promise à l’insouciance, que fait-elle dans ce lieu mystérieux? Qui sont ces étrangères qui s’emparent de son corps sans ménagement? Ces "créatures surgies du vide" acquièrent peu à peu un nom tandis que leur histoire, terrible, se dévoile. A priori, rien ne les unit si ce n’est la surprise d’être condamnées à rester ensemble. Pourquoi ce "châtiment" ?
Elles mettent un moment à accepter la vérité: "Nous sommes mortes, nous avons franchi un espace intermédiaire, qui était un lieu semblable au monde des vivants. Pourquoi ne pourrions-nous pas être au ciel." Parce que cet entre-deux s’apparente plutôt à l’"Inferno" dantesque, biblique ou sartrien. A une nuance près, l’humanité parvient à s’y glisser petit à petit. Tout semblait pourtant mal parti entre ces sept personnalités. "Même la mort n’avait pas fait d’elles des égales." Wlbgis "la cancéreuse" semble écrasée par la maladie. Rosa Imaculada est une mère célibataire, confrontée aux conditions de sa favela ou à une greffe cardiaque. Nina attend des jumeaux, mais rien ne se passe comme prévu.
La meneuse est la performeuse new-yorkaise squelettique, Schlomith. "Un simple cintre qui ne tenait debout qu’à la force de sa volonté." Une femme de fer qui cache une tragédie. Tout comme ses compatriotes bouleversantes, elle se bat jusqu’au bout avec une énergie impressionnante. Traduite pour la première fois en France, Laura Lindstedt a mené une thèse sur Nathalie Sarraute et a obtenu pour ce livre l’équivalent du Goncourt finlandais.
Il y a un aspect résolument théâtral dans la construction du roman, remarquablement mené. On se croirait dans une chorégraphie de Pina Bausch, dénonçant la condition des femmes face à la pauvreté, l’adversité, la maladie, la malchance, la jalousie ou la souffrance. La trame déstabilisante de ce livre qui interroge la manière de faire le deuil de la vie oscille entre l’analyse glaçante d’Elfriede Jelinek et la scénographie minimaliste de Lars von Trier dans Dogville. K. E.