Lou Reed avait déjà, il y a trente ans tout juste, téléporté, en musique, Roméo et Juliette dans les bas-fonds de New York. « And Romeo wanted Juliette, and Juliette wanted Romeo », résumait simplement le refrain mi-parlé, mi-chanté par le rocker. Dessinateur underground - il publie dans la revue Heavy Metal et a collaboré au label Vertigo de DC Comics -, Ronald Wimberly s'attelle à son tour, cette fois en bande dessinée, dans cette même période des années 1980, à la transposition de la pièce de William Shakespeare (1597) dans la métropole de la côte Est des Etats-Unis. Avec succès.
Pour l'histoire, on n'est pas trop surpris. Certes, le dessinateur américain a choisi de placer au premier plan, plutôt que les deux amoureux contrariés dans leur idylle par l'opposition immémoriale de leurs familles, les Capulet et les Montaigu, le personnage de Tybalt Capulet, le cousin de Juliette. Montré en chef de gang, c'est lui le Prince of Cats, le prince des chats qui donne son titre à l'album. Mais dans le rythme du récit, dans l'enchaînement des cases qui résonnent comme les beats d'une musique qu'on sent vibrer en soi à la lecture à défaut de l'entendre, les deux familles s'affrontent bien à mort chaque soir sur les trottoirs de Brooklyn comme sur ceux de Vérone quelques siècles plus tôt. Battes de baseball, masses, épées, cutters et autres instruments contondants font jaillir le sang plus souvent qu'à son tour.
Côté dessin, Ronald Wimberly n'a pas grand-chose à prouver. Des codes du comics il a repris l'efficacité du découpage, la variété des cadrages, le mouvement. Côté couleur, il lorgne vers la pop, déclinant son hip-hop sanglant dans des tons bleus et roses. Certaines planches sont quasi muettes, portées par les cris, les sons sourds : « tak », « kla-chak », « chaka-chaka-chaka », « honk-hoooonk ! », « ksht », « drriiiiing !!! », « snap », « slrrrrrrrr », « sluuurp », « wiff ! », « punt ! », « butte », « gasp », « thud »... Mais c'est dans ses textes magnifiquement traduits par Charles Recoursé, dans la composition de ses dialogues souvent jubilatoires, conjuguant l'esprit du grand William et la poésie des cités d'aujourd'hui, que l'auteur newyorkais donne toute sa mesure.
DansPrince of Cats,« lorsque l'éclat d'Apollon disparaît le soir, les jaunes lampes et les bleus écrans pétillent, et la cité d'un air de Voie lactée se pare. »Le conflit est alors prêt à éclater.« Ces baskets sont neuves, canaille. A genoux, et nettoie ce pied que tu as sali. »Partout« de blancs chevaux sèment le chaos dans nos rues, nos jeunes gens s'égarent tous en vains conflits, et des lignes blanches sur le béton fendu signalent trop souvent la perte d'une jeune vie ».
Prince of Cats - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursié
Dargaud
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 152 p. en coul
ISBN: 9782205079401