Entretien

Serge Ewenczyck : « Les éditions Çà et là vont devenir une Scop »

L'équipe des éditions Çà et là, dorénavant constituées en Scop. De gauche à droite, Louise Fourreau, Serge Ewenczyck, Marie Hornain et Hélène Duhamel - Photo Olivier Dion

Serge Ewenczyck : « Les éditions Çà et là vont devenir une Scop »

Les éditions Çà et là fêtent leurs 20 ans en 2025. Leur fondateur revient sur les montagnes russes que représente l'édition de bandes dessinées pour une petite maison indépendante, entre succès critiques et publics et années de vaches maigres. Et annonce, tout sourire, la transformation de sa structure en Scop. 

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Par Benjamin Roure
Créé le 16.01.2025 à 16h10

Livres Hebdo : L'année 2024 a marqué un recul pour beaucoup d'éditeurs. Pour Çà et là également ?

Benjamin Roure : En 2022 et 2023, dans la foulée des deux Fauves d'or d'Angoulême consécutifs pour Écoute, jolie Marcia et La couleur des choses, nous avions doublé notre chiffre d'affaires par rapport à la moyenne de nos dix-sept premières années ! L'année 2024 a été celle d'un retour à la normale, mais plus rapide que prévu, avec la sensation d'avoir perdu tout le terrain gagné. Heureusement, La couleur des choses se vend toujours, et est devenue notre best-seller avec 66 000 ventes nettes, bien au-delà du précédent, Mon ami Dahmer et ses 38 000 exemplaires (hors poche). Mais la réalité du marché est que les livres se vendent moins bien, même avec de la presse et des prix, comme Walicho. On a presque l'impression que le seuil de 5 000 exemplaires, qui représentait un succès, est retombé à 3 000...

Vous avez toujours été très transparent, en diffusant publiquement les ventes et retours de l'année écoulée. Pourquoi cette démarche ?

Je trouve qu'il est important de dévoiler la réalité des chiffres pour montrer la réalité du marché, car cela a des répercussions sur toute la chaîne et sur la rémunération des auteurs. Tout le monde devrait savoir que la moitié des nouveautés se vend à moins de 1 000 exemplaires, que 80 % des albums n'atteignent pas les 5 000. On ne peut pas analyser le secteur si on ne regarde qu'Astérix ou L'Arabe du futur. 

Pourtant, quand on voit l'affluence dans les festivals, comme au pourtant pointu BD Colomiers en novembre dernier, il semble que les lecteurs soient toujours là...

Oui, les salons fonctionnent, car ils constituent une activité culturelle en soi, et les lecteurs sont toujours très intéressés pour rencontrer les auteurs. Entre Angoulême, Saint-Malo, Formula Bula, la Fête de l'Humanité ou Colomiers - qui jouit du travail de fond de l'équipe toute l'année autour de l'édition indépendante -, les ventes en festivals représentent environ 10 % de notre chiffre d'affaires annuel. Mais c'est davantage la vente en librairie qui souffre, notamment dans les spécialisées et les généralistes de niveau 1, où se concentre notre public : les mises en place sont plus faibles, les réassorts moins rapides...

« Quand tu es indépendant, tu es obligé de vivre dans le déni ! »

L'édition de bande dessinée, et notamment celle des indépendants, est-elle au début d'une crise ?

Le secteur est dynamique, avec de nouveaux entrants, de jeunes éditeurs talentueux, toujours plus de très bonnes BD d'une grande diversité, mais aussi des créations de librairies. C'est génial, mais ça participe à la surproduction. L'édition indépendante doit vivre avec ces effets secondaires. Elle est cependant paradoxalement mieux équipée pour surmonter les crises que les grands groupes qui ont des charges lourdes. Elle sait adapter ses modèles économiques et des outils d'appel à l'aide existent aujourd'hui. Là où il faut rester vigilant, c'est dans la concentration du secteur, où les gros sont rachetés par plus gros encore, au risque de déséquilibrer la chaîne... 

Après 20 ans d'édition à avancer sur un fil, et alors que la maison a tangué dangereusement plusieurs fois, comment garder la foi en l'avenir ?

Quand tu es indépendant, tu es obligé de vivre dans le déni ! C'est pour cela que, malgré une année 2024 morne, on se projette sur 2026 et 2027, car on part du principe que les libraires vont continuer à nous défendre. On garde la même ligne : publier les livres qu'on aime, travailler avec les auteurs qu'on suit, en découvrir de nouveaux, et rester sur un rythme de onze sorties par an. Nous essayons aussi de sortir du monde anglo-saxon, de développer la création par rapport à l'achat de droits, et de viser un équilibre entre les auteurs et les autrices.

« Associer plusieurs personnes, de sexe et d'âge différents, c'est aussi l'occasion de faire évoluer un peu la ligne éditoriale »

Le pari de la création est-il payant ?

Cela dépend toujours des auteurs et des livres, mais la reconnaissance et le succès d'Andi Watson, Mana Neyestani, Martin Panchaud ou Marcello Quintanilha sont très importants pour nous. Le Fauve d'or pour Écoute, jolie Marcia a eu un effet immédiat sur les ventes à l'étranger : nous avons cédé les droits dans une dizaine de pays, dont la Corée du Sud ou les États-Unis. Aujourd'hui, les cessions de droits peuvent représenter 5 à 7 % du CA.

Cet anniversaire des 20 ans passe aussi par un changement de structure pour Çà et là.

Jusqu'ici, Çà et là était une SAS dont je suis l'actionnaire principal, avec mon frère à mes côtés. Mais cela faisait quelque temps que le côté solitaire de cette position me pesait. J'avais besoin de partager la prise de décision. Alors je me suis dit qu'il faudrait profiter de nos 20 ans pour remettre à plat l'organisation de Çà et là : nous allons devenir une Scop, dont les quatre salariés auront chacun un quart des parts et des voix de la société. Je peux désormais partager les décisions avec Hélène Duhamel, qui est graphiste, directrice artistique et traductrice de la maison depuis 12 ans, Louise Fourreau, ancienne libraire, responsable des relations libraires et de la surdiffusion, et Marie Hornain, chargée de la communication et des relations extérieures. Associer plusieurs personnes, de sexe et d'âge différents, c'est aussi l'occasion de faire évoluer un peu la ligne éditoriale. À 55 ans, ce n'est pas une façon de laisser la main : je suis toujours pleinement impliqué, mais je partage tout. Cette perspective m'enchante.

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