La narratrice du premier roman de Laure Adler vit seule dans une maison de campagne isolée. Elle a construit « une sorte de cage mentale », y a « emprisonné des souvenirs, des émotions, des perceptions ». Voici une femme qui a passé son enfance et son adolescence en Afrique, a été vendeuse de chaussures dans un magasin du Quartier latin, a suivi les cours d’un Gilles Deleuze - semeur d’élan, d’énergie et de désir - qui disait ne pas croire aux mots. Une femme qui se souvient de ses amies. De Suzanne, de Judith et de Florence, qui ont toutes trois souffert de l’absence du père, ont eu peur « de leur force, de leur énergie », mais ont quand même avancé dans l’existence vaille que vaille.
Suzanne est discrète, a « la beautédes filles qui ne le savent pas » et une mère infirmière de nuit. Elle a été douée pour la gymnastique, standardiste dans une clinique, maltraitée par un amant espagnol. Née en Argentine, Judith, elle, a eu une mère résistante. Eprise de tango, elle a été marquée par Tristes tropiques puis a suivi les cours de Julia Kristeva qui parlait merveilleusement de Saussure. Fille d’une mère pas vraiment dans le présent, Florence, enfin, a eu très tôt le goût de disparaître. Adolescente aux yeux bleu violet, elle volait dans les magasins. Jeune fille, elle se laissait entraîner dans les paradis artificiels.
Suzanne, Judith et Florence allaient devenir inséparables, s’aider et affronter les tempêtes du mieux possible. Mais non sans vaciller ou en baver. Ces femmes à la fois si proches et si différentes, Laure Adler les suit tour à tour au long d’un volume où l’on croise notamment Ernesto Sabato, Maurice Béjart, Pierre Boulez ou Georges Perec. Immortelles raconte leur jeunesse, leurs rêves, le poids familial qu’elles traînent toutes, leurs amours. Et peint une génération qui ne pensait pas à la mort. Au risque de devoir un jour déchanter. Alexandre Fillon