Le printemps est la saison… de la reddition de comptes. Or, quel éditeur n'a jamais entendu un auteur se plaindre de ne pas avoir reçu son relevé, ou se montrer plus qu’interrogatif devant un document bien peu informatif ? Les professionnels sourient de cette récrimination classique, mais sont rarement, en réalité, au fait des obligations légales qui leur incombent en la matière. L'obligation de rendre des comptes est pourtant inscrite au sein du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) au rang des devoirs principaux de l'éditeur. L’article L. 132-13 du CPI en détaille les subtilités, applicables « à défaut de modalités spéciales prévues au contrat ». C'est ainsi que l'éditeur doit procéder à l'envoi des comptes « au moins une fois l'an ». En pratique, les contrats d’édition prévoyent une date d’arrêté au 31 décembre pour un envoi quelques trois ou quatre mois plus tard. La formule selon laquelle « l’obligation d'envoi systématique des comptes est limitée aux cinq premières années d'exploitation de l'ouvrage » n’est valable que si elle est suivie du complément suivant : « Au-delà, le compte est établi chaque année et tenu à disposition au siège de la société ou communiqué à l'auteur à sa demande ». Il est également prudent d’éviter les clauses aux termes desquelles la reddition de comptes ne se ferait qu’à partir d’un certain seuil de ventes. Les juges ont en effet déjà eu l'occasion de décider que l’obligation de rendre les comptes s’appliquait même en cas de rémunération forfaitaire de l'auteur, c'est-à-dire autonome des ventes. La Cour d'appel de Paris a également estimé, en 1993, que l'aspect moral primait sur l'aspect financier et qu'à ce titre elle s’imposait à l'éditeur, même si l’auteur ne lui en faisait pas la demande explicite. Aux termes du CPI, sauf stipulations contraires contenues dans le contrat d'édition, l'éditeur est tenu de produire un état mentionnant le nombre des exemplaires vendus, le montant des redevances dues ou versées et le nombre des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure. Il devra en outre indiquer « le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d'exercice », ainsi que « la date et l'importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock ». La Cour de cassation a de plus précisé, en 1994, que la reddition des comptes devait viser les sous-éditions conclues avec des éditeurs étrangers. Et la Cour d'appel de Paris a même jugé, en 1988, que, si les comptes n'étaient pas suffisamment détaillés, les honoraires de l’expert chargé de les vérifier pouvaient être portés à la charge de la maison d'édition. De plus, selon l’article L. 132-14 du CPI, « l'éditeur est tenu de fournir à l'auteur toutes justifications propres à établir l'exactitude de ses comptes ». Le législateur a même prévu expressément que l'éditeur pouvait y être « contraint par le juge ». Le Tribunal de grande instance de Paris a estimé, en 1992, que la résiliation du contrat aux torts de l'éditeur constituait la sanction du défaut de reddition des comptes. Quant à la reddition frauduleuse des comptes, elle est susceptible d'entraîner par surcroît la responsabilité pénale de l'éditeur. Bref, un relevé de comptes doit permettre à l’auteur de comprendre aisément ce qu’il est advenu de la totalité du tirage. Toute autre formule arithmético-ésotérique est non seulement illégale, mais engendre de la suspicion, ainsi qu’une longue perte de temps à expliquer au téléphone ou par mail de quoi il en ressort.