Le 15 août 2007, vers 5 heures, Kévin et Josué sortent d’une boîte de nuit, près de Châtellerault. Sur leur route, ils croisent Michel Firmin qui fait du stop. Ancien choriste des groupes les Négresses vertes et Bérurier noir, il a fait de la figuration dans Tchao Pantin. Comme le personnage joué par Coluche, il est à ce moment-là dans la marge. Kevin et Josué le prennent dans leur voiture. Puis ils l’agressent, lui prennent sa carte de crédit et le mettent dans le coffre. Ils rejoignent des copains chez Kévin, racontent leur forfait, s’emparent d’une pelle et retournent à la voiture "terminer le travail". Près d’un bois, Josué force Firmin à creuser sa tombe, puis lui fait subir de multiples tortures et mutilations. Les deux criminels tentent de mettre le feu au cadavre. Dans les flammes, Josué jette son mégot de cigarette, la signature ADN de cette atrocité.
David Puaud connaît Josué. Il a été son éducateur. Il est convoqué comme témoin lors du procès à la cour d’assises de Tours en 2010. Josué est décrit comme un "monstre humain" avec une personnalité "morbide". Mais le travailleur social, qui s’est engagé dans des recherches anthropologiques au sein de l’EHESS, ne se contente pas de cette explication. Il veut tenter de comprendre ce crime hors normes et sans mobile apparent.
Il y a quelque chose de fascinant dans ce livre. Sans doute est-ce cette manière de raconter, assez peu universitaire, hormis quelques références à Michel Foucault et à son étude sur les anormaux. En l’absence de mobile, c’est la biographie psychosociale de Josué qui retient l’attention. Cette histoire passe par le quartier "populaire" de Châteauneuf, à Châtellerault, cet outre-monde fait de misère, d’alcool, de drogue et de violence où les structures sociales échouent. "S’insérer ? Je fais que ça ! Ils veulent pas de moi !" lui dit Josué. Faute d’intégration, il s’est désintégré et il a entraîné Kévin dans cette explosion. Michel Firmin est devenu la marionnette de ces monstres condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de vingt ans.
Comprendre n’est pas excuser. Le monstre nous montre quelque chose que nous ne voulons pas voir, mais que nous regardons quand même. C’est bien cet effet miroir qui s’opère dans ce livre stupéfiant. On reste tétanisé devant l’acte. On voudrait savoir tout en redoutant d’obtenir des réponses. David Puaud réussit l’exploit de nous mettre face à une horreur d’autant plus glaçante qu’elle était évitable. Laurent Lemire