Avant-critique Romans

Sandra Newman, "Julia" (Robert Laffont) et Anna Funder, "L'invisible Madame Orwell" (Éditions Héloïse d'Ormesson)

Sandra Newman - Photo photos : Olivier Dion

Sandra Newman, "Julia" (Robert Laffont) et Anna Funder, "L'invisible Madame Orwell" (Éditions Héloïse d'Ormesson)

En cette rentrée, grand coup de projecteur sur George Orwell. Grâce à une fiction signée Sandra Newman revisitant 1984 du point de vue féminin ainsi qu'à travers un récit d'Anna Funder, entre biographie et fiction, sur la première épouse de l'écrivain anglais.

Parutions 29 août et 5 septembre

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean Rose
Créé le 26.08.2024 à 09h00

Orwell.e.s. Il s'agit d'un vrai faux anniversaire...1984, 2024, pas l'anniversaire des 40 ans, plutôt celui des 75 ans, puisque la dystopie de George Orwell a été publiée en 1949. « 84 » serait « 48 » inversé, l'année où l'écrivain anglais termina son livre... 1984 est une date purement arbitraire, une référence symbolique au futur. Peu nous chaut au fond l'anniversaire, tant ce chef-d'œuvre de la littérature d'anticipation est d'actualité, tant, à l'heure d'internet, des réseaux sociaux, du Big Data, de l'intelligence artificielle..., la clairvoyance d'Orwell sur la société de la surveillance nous apparaît bluffante. En cette rentrée littéraire, deux livres étrangers redonnent un coup de projecteur sur l'auteur de 1984. Julia de Sandra Newman revisite ce roman à travers le prisme de la maîtresse du protagoniste aux prises avec le totalitarisme de Big Brother. Quant à L'invisible Madame Orwell, récit hybride entre biographie et fiction signé Anna Funder, il rend justice à Eileen O'Shaughnessy, première épouse de l'auteur demeurée dans l'ombre.

Anna Funder
Anna Funder photographiée à Paris le 03/07/2024- Photo OLIVIER DION

Tout système totalitaire réprouve le désir, n'entend pas que le plaisir émancipe l'individu. La dictature est par essence contre l'individu. À la longue liste des infractions lourdement sanctionnées par le régime de Big Brother s'ajoute le sexe, considéré comme un crime. Faire l'amour devient un acte de résistance. Julia déjoue le contrôle de la Police de la Pensée, les télécrans... Il faut dire qu'elle a tout de la citoyenne modèle puisqu'elle travaille avec zèle au département Fiction du ministère de la Vérité. La résistante de l'éros interdit est curieuse de cet employé des Archives, un certain Winston Smith surnommé « Pète-Sec ». Serait-il, sous ses airs renfrognés, un dissident lui aussi ? Le mystère se mue en attraction... Dans Julia, l'héroïne éponyme se compromet comme dans l'original orwellien puisqu'elle et Winston deviennent amants. Et on tourne les pages tout aussi oppressé par l'asphyxiante atmosphère de paranoïa. Dans ce pastiche truffé de novlangue, Sandra Newman (également autrice de The Men, roman SF non traduit, décrivant un monde où le chromosome Y a totalement disparu) injecte en outre une bonne dose d'ironie postféministe : « Le fond du problème, ce n'était pas tant que ses parents [de Winston] fussent des non-êtres ou qu'il n'arrive pas à suivre la doctrine du Parti [...]. Non, Pète-Sec présentait tous les symptômes du sexe ayant tourné à l'aigre. Et de ça, il fallait blâmer les femmes. Qui d'autre, sinon elles ? »

Selon l'écrivaine australienne Anna Funder, Orwell, sans en vouloir aux femmes, les occultait, notamment celle qui fut son épouse pendant neuf ans jusqu'à ce qu'elle meure prématurément en 1945. L'invisible Madame Orwell tente de retracer le parcours d'Eileen O'Shaughnessy qui, toujours selon l'autrice de Stasiland (Éditions Héloïse d'Ormesson, 2008) fut l'éminence grise soufflant des idées au satiriste de La ferme des animaux. Cette diplômée d'Oxford qui dactylographiait voire éditait les notes de son mari et qui est simplement mentionnée en tant que « ma femme » dans Hommage à la Catalogne, alors que sans elle Orwell n'eût pas pu réchapper à la mort au cours de son combat antifasciste... Anna Funder a lu les six biographies incontournables d'Orwell, toutes écrites par des hommes et où Eileen est invisibilisée. Elle a surtout lu les six lettres subsistantes d'Eileen à une amie et ourdit entre les lignes une contre-fiction très personnelle, manière d'éloge en forme de reconnaissance de la charge mentale de la femme de l'écrivain - comme si elle eût voulu faire réapparaître la personne effacée sur la photo. De l'anti-cancel culture, en somme.

Anna Funder
L'invisible Madame Orwell
Éditions Héloïse d'Ormesson
Traduit de l’anglais (Australie) par Carine Chichereau
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 23 € ; 496 p.
ISBN: 9782350879338
Sandra Newman
Julia
Robert Laffont
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Cohen
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 416 p.
ISBN: 9782221272145

Les dernières
actualités