Edna O'Brien lors de son prix spécial Femina pour l'ensemble de son oeuvre en 2019 - Photo Olivier Dion
Sabine Wespieser, éditrice d'Edna O'Brien : « Tout était déjà contenu dans Country Girls »
À l'occasion de la réédition le 17 octobre de Country Girls, trilogie inaugurale de l’œuvre d'Edna O'Brien, son éditrice française Sabine Wespieser revient sur sa rencontre avec cette grande plume de la littérature irlandaise disparue l'été dernier à l'âge de 93 ans.
Sabine Wespieser : Elle est arrivée par un chaînage que j'aime bien, grâce à Nuala O'Faolain, la première autrice irlandaise que j'ai publiée et qui m'avait désignée comme son exécutrice littéraire. De ce fait, j'ai noué de fortes amitiés avec son entourage en Irlande, notamment avec son meilleur ami, Luke Dodd. En 2009, celui-ci me demande si cela m'intéresserait de publier Edna O'Brien, qui avait certes été publiée en France, mais n'avait jamais vraiment eu de succès. Il pensait que ma maison, où Nuala avait reçu le prix Femina étranger en 2006, pouvait faire reconnaître son travail. Edna O'Brien fait partie de mon panthéon littéraire, j'ai une admiration éperdue pour son œuvre. Je l'ai donc rencontrée lors d'un de ses voyages à Paris et elle m'a confié Crépuscule irlandais (2010). Depuis, j'ai publié toutes ses nouveautés et essaie de réunir les livres de son fonds dans mon catalogue.
Depuis quand pensez-vous à la publication de cette trilogie Country Girls ?
Edna et moi souhaitions depuis longtemps publier cette trilogie. Ce livre a été son moment inaugural, son succès fulgurant et ce qui l'a forgée dans la vie. Il faut quand même résister à ce qu'il s'est passé ! D'une part la mise à l'index de ses publications en Irlande, d'autres part les insultes misogynes de la gente littéraire masculine, bien embêtée de voir apparaître cet ovni de 30 ans dans le monde des lettres. Elle a tenu bon pendant plus de 60 ans. La dernière fois que j'ai vu Edna, en avril dernier, elle était très faible. Nous savions l'une et l'autre que c'était probablement notre dernière entrevue.
Edna O'Brien n'a abdiqué sur rien : sa vie de femme, sa vie de mère
Elle était devant sa table de travail et tenait absolument à finir un essai sur T. S. Eliot qu'elle avait promis de rendre. Sa force de création, sa puissance et son audace sont hallucinantes, tout en n'ayant abdiqué sur rien : sa vie de femme, de mère. Tout cela est déjà contenu dans Country girls.
Pourquoi avoir gardé le titre anglais et quels liens peut-on tisser entre Country girls et Girl (Femina 2019) ?
Edna voulait garder le titre en anglais parce que cela résonne évidemment avec Girl qui a été son grand succès en France. C'est un titre en miroir. Quand j'ai reçu le manuscrit de Girl, publié en même temps que chez son éditeur anglais, je l'ai lu d'un seul souffle et j'ai compris que j'avais sous les yeux un grand texte de la littérature mondiale. Le choix de conserver « girl » dans le titre rend visible la préoccupation qui traverse l'œuvre d'Edna : le sort des femmes et des jeunes filles dans le monde.
Edna O'Brien prix spécial du prix Femina en 2019 pour l'ensemble de son oeuvre et son éditrice Sabine Wespieser- Photo OLIVIER DION
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Le passage du pluriel au singulier avec Girl traduit un universel, mais aussi la quintessence de son œuvre. Déjà, dans Country girls, il y a un lyrisme, un sens de la narration et de l'évocation extraordinaires, mais 60 ans plus tard avec Girl, on arrive au sommet, à quelque chose de l'ordre de l'épure, de l'absolue illustration que la littérature n'est pas l'explication mais la connotation.
Edna O'Brien poursuit la voix tracée par Virginia Woolf, sur le prix à payer des femmes pour leur indépendance…
Elle était une grande lectrice de Virginia Woolf et pensait aussi le statut d'écrivaine, d'abord en tant que femme mariée, puis comme mère divorcée. Elle parlait souvent de sa chambre à Chelsea comme lieu du repli nécessaire pour écrire. Cette chambre-bibliothèque, où elle a écrit pendant 15 ans, va d'ailleurs être reconstituée au château Lacoste à Aix-en-Provence (l'inauguration aura lieu en 2025). C'était aussi une priorité en voyages : trouver des endroits propice à la concentration pour écrire.
Dans les médias cette semaine : 20 ans après la mort de Françoise Sagan, l'autrice est mise à l'honneur dans la « La Grande Librairie » ; le « Book club » (France Culture) découvre la bibliothèque de la photographe américaine Jane Evelyn Atwood, et Jérôme Garcin est l'invité de Lilia Hassaine dans « Etcétéra » sur France Inter.
Un rapport de mission présenté au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) en début de semaine met en lumière des mesures indispensables pour renforcer l’interopérabilité au profit des professionnels de l’édition, de plus en plus dépendants des plateformes numériques.
L'autrice a remporté le prix du jury pour son ouvrage Encore debout : la République à l'épreuve des mots, paru aux Éditions de l'observatoire. Les lauréats des prix de l'œuvre engagée et du « Regard d'Edgar » ont également été proclamés.
Par
Antoine Masset
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