Au rayon roman jeunesse, la romance, la fantasy et le young adult gagnent chaque année tant de terrain qu'il faut des termes nouveaux pour désigner tous les genres qui apparaissent. On avoue avoir eu recours au dictionnaire pour comprendre le terme "cosyfantasy", apposé sur Rosaces et dragons, le roman de Ielenna chez Slalom. Réponse : un mélange de fantasy et de feel-good.
Nombre de romans très attendus en cette rentrée sont à la frontière de la jeunesse et du young adult, comme Helter skelter de Philippe Lechermeier (Flammarion), un road trip dystopique, ou encore H. Mort ou vif de Pascale Quiviger (Rouergue Jeunesse). Comme les précédentes, cette rentrée est placée sous le signe du féminisme.
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Dans la collection "L'ardeur" (Thierry Magnier), À croquer d'Anne-Fleur Multon met en scène le female gaze à travers Marie-Maud, son héroïne, qui essaie de correspondre aux attentes des hommes, et se perd. Médée. La naissance d'une sorcière de Chloé Perrot (Talents hauts) revisite le mythe de façon moderne et féministe. La nuit des treize plumes d'Isabelle Pandazopoulos, chez Rageot, raconte lui aussi un conte férocement féministe.

À monde sombre, roman sombre. Crise des opiacées dans l'Amérique pauvre, sortie de prison, réinsertion sont les thèmes de Welcome home de Catherine Dabadie (Actes Sud Jeunesse). La maladie, le handicap et le racisme sont abordés dans Ma vie sur une jambe d'Insa Sané (Gallimard Jeunesse). Même la facétieuse Susie Morgenstern explore le domaine des Addictions anonymes, dans lequel les personnages d'un quartier défavorisé sont accros à tout, aux séries comme à la nourriture. Mais, comme toujours avec l'autrice, on finit par en rire. Dans Omaya et Louve de Caroline Solé (Albin Michel Jeunesse), une bande d'enfants sauvages veulent délivrer des adultes de leur addiction aux écrans. Et comme l'IA peut être source d'angoisse, le docu-fiction Les mystères de l'IA de Matthieu Ruf (La joie de lire) la décrypte.
À la vie à l'humour !
Depuis le Covid le mal-être adolescent s'est aggravé et le cru rentrée 2025 ne dément pas cette tendance, abordée de plusieurs façons. Chez Seuil Jeunesse Ce que retient le sable de Virginy L. Sam met en scène une héroïne neuro-atypique. Rouge, de la prolifique Clémentine Beauvais, raconte l'histoire d'une jeune fille souffrant d'éreutophobie. Kesako ? La peur de rougir en public. La voix d'un hypersensible doté d'une intelligence hors normes qui va rebooter le monde de l'après-Apocalypse est au cœur de l'époustouflant Un petit peu malheureusement de Claire Castillon (Gallimard Jeunesse). Dans En décalage de Lolie Cherbonnel (Didier jeunesse) un ado recherche la perfection et subit la pression maternelle. Ouf ! Un jour, il donne son premier baiser...
Comme antidote à la sinistrose, l'humour est un remède. Le roman pour les 8-12 ans en use et en abuse. Chez Hélium deux romans sont irrésistibles de drôlerie : Les découvertes vertes d'Anna Zavatian de Vincent Cuvellier et Le fan-club des contes de fées de Richard Ayoade, qui abordent les thèmes de la recherche et du questionnement avec dérision. Gallimard jeunesse n'est pas en rade avec Le journal des andouilles d'Agnès Desarthe, dans lequel des écoliers un peu perchés créent leur journal des cancres, ou encore avec Moonwalk d'Audrey Faulot où, signe des temps, une maman redevient une ado, mange des céréales et traîne au lit jusqu'à pas d'heure. Les reines du basket d'Anne Langlois (Nathan) se demande comment constituer une équipe de basket avec des bras cassés.
On rit aussi du délicieux humour noir de Boutique des ténèbres de Vincent Mondiot (Actes Sud Jeunesse). Le deuxième tome de la nouvelle série de Clémentine Beauvais Pierre Bayard DéteXtive Privé (Sarbacane) mène une enquête littéraire amusante dans l'univers de Peter Pan. Coup de foudre à la boîte à livres de Floriane Turmeau (Poulpe) navigue entre romance et enquête. Un amoureux secret y glisse des romans clin d'œil à sa dulcinée via une boîte à livres.

Les classiques ne prennent pas une ride en cette rentrée. Chez Sarbacane on se lance sur la piste du Dernier des Mohicans, adapté par Thibault Vermot et somptueusement illustré par Frédéric Pillot. Flammarion a fait appel à MinaLima pour illustrer Frankenstein et Pinocchio, et à Charlotte Gastaut pour Dracula. Une si belle vie.
Qui dit rentrée dit stars. Après sa série phénomène Le Journal de Gurty, vendue à 1,5 million d'exemplaires, Bernard Santini sort un nouveau roman, Mémoires de Fleur, qui est très attendu. À La Martinière Jeunesse la série Keleana de Sarah J. Maas devient Throne of Glass. Et à L'école des loisirs, Mémoires de la forêt de Mickaël Brun-Arnaud s'offre une édition prestige pour fêter son succès.
"Avant on tirait un film d'un livre, maintenant on tire un livre d'un film ou d'une série", nous explique-t-on chez Gallimard Jeunesse, où l'on publie Mercredi. Le roman de la saison 1 de la série phénomène, adapté par Tehlor Kay Mejia. De même, inspiré des personnages de Roald Dahl, l'album Welcome to Twitlandia (titre provisoire) campe Les deux gredins, qui débarquent sur Netflix à la tête d'un parc d'attractions pas très ragoûtant.
Pas de sujet tabou
Également star de la rentrée, le disparu Tomi Ungerer, dont l'album Oh ! Jonathan (L'école des loisirs) est publié pour la première fois en France. L'histoire d'un petit garçon qui fait des bêtises et va voir un médecin dont le diagnostic surprend les parents. Autre monstre sacré, vivant celui-là, Stephen King revisite un Hansel et Gretel illustré par une autre pointure, Maurice Sendak, coédité par Albin Michel jeunesse et L'école des loisirs.
Dans Est-ce qu'on voit mieux les rêves si on dort avec ses lunettes ? (L'école des loisirs), Claude Ponti reprend des questions surprenantes posées par les enfants dans Philosophie Magazine. Dans un autre registre, les éditions Margot promettent un album de Noël illustré par Benjamin Lacombe sur L'enfance du Père Noël. Le duo gagnant Pauline Martin et Astrid Desbordes publie Le Noël d'Archibald chez Albin Michel Jeunesse. Enfin, l'auteur culte Blexbolex récidive à La Partie avec Le temps du Capitaine Brett.
Si pendant longtemps l'album a prospéré grâce à des thèmes mignons et bienveillants, il s'est depuis quelque temps retrouvé face aux dures réalités. Pas de sujet tabou, même si le happy end adoucit souvent le propos. Pour preuve, le saisissant La maison cachette d'Erika Soucy et Geneviève Bigué chez l'éditeur québécois La Pastèque, qui sonde tout en pudeur les maltraitances familiales.
La politique s'invite, elle aussi, dans cette rentrée. Olivier Tallec raille avec talent les fantasmes autour de l'immigration massive dans l'irrésistible En attendant les barbares (Pastel). L'album est également féministe, ouvrant ses pages aux femmes exerçant des métiers d'homme, comme Maman sur un fil à plomb de Hélène Gloria et Barroux (d'Eux), dont l'héroïne, maçonne, touille le ciment comme de la béchamel. La déconstruction des préjugés est aussi de mise. Celui sur la méchante belle-mère est revisité dans Ma belle-mère est une sorcière de Lucie Mikaelian (Gallimard Jeunesse). Ou ceux sur le genre, comme dans Harold. Chevalier du gribouillis de Roberto Prual-Reavis (Gallimard Jeunesse), où la belle princesse ne veut pas être délivrée par le beau prince.
Questions philosophiques
L'éco-anxiété n'est plus occultée. Notre ami Lépi de Marina Philippart (MeMo) est un conte écologique où Sève et Racine veulent sauver un coléoptère dans un monde recouvert d'un brouillard permanent. La différence est encore largement explorée. La petite elfe pas comme les autres de Florence Dutruc-Rosset et Sarah Loulendo (Bayard Jeunesse) met en scène une elfe aux cheveux rouges. Casterman n'hésite pas à questionner l'apparence et les complexes physiques, comme dans l'album Capuche de Rose-Marie Servenay et Anthony Pastor, dont l'héroïne est maigre comme un clou.
De son côté, le documentaire s'attaque à des questions pour les grands dans Tes droits et tes besoins comptent du juge Édouard Durand, illustré par Mai Lan Chapiron, alors que Vanessa Springora propose Identité : qu'est-ce qui nous définit ? (tous deux à La Martinière Jeunesse). Chris Haughton, lui, publiera un documentaire ambitieux chez Thierry Magnier : Histoire de l'information.

L'album se pose bien des questions philosophiques. Le profond La porte cachée de Béatrice Borso (Albin Michel Jeunesse) nous invite à ne pas enfermer notre pensée. Une histoire de rien du tout de Marie Dorléans (Seuil Jeunesse) questionne sur comment faire le vide dans une société où il y a trop de tout. Chez Les Fourmis rouges on s'interroge sur la place occupée dans la fratrie avec Le petit dernier de Thomas Medard et Lisbeth Renardy. La pire ou la meilleure ?
Cependant tous les éditeurs continuent à exalter la tendresse et la douceur. En témoigne la pléthore d'albums sur les bisous en cette rentrée. Baiser proustien revu avec délicatesse par Clémentine Beauvais et Camille Romanetto dans Le baiser du soir (Sarbacane) ou baiser de conte, entre humour et esthétique pop, dans Une histoire de bisous par Davide Calì et Raphaëlle Barbanègre (Thierry Magnier).
Nos chouchous les bêtes
Les grands chouchous des enfants sont toujours les animaux. Et de toutes sortes ! Des planqués, comme dans le bluffant Cachés d'Amandine Delaunay, un exceptionnel documentaire sur l'art du camouflage (La Martinière Jeunesse) ; des mignons et craquants, comme dans Mon petit sanglier de Briony May Smith (Gallimard Jeunesse) ; des étranges, comme l'axolotl et l'argyronète, exhibés Dans le secret des eaux tranquilles de Cécile Jacoud (Amaterra), décrit comme un livre tunnel".
Enfin, des qui n'existent pas, comme le "poulon" dans Le bonheur d'un poulon de Paul Vidal (Albin Michel Jeunesse), ou encore des mal-aimés, comme la méduse ou l'araignée, observés par l'académicienne Dominique Bona qui signe son premier album, Personne ne m'aime ! chez Flammarion Jeunesse. Mais comment faire quand on vit dans une maison que sa mère a transformée en refuge pour animaux sauvages, certes sympathiques, mais envahissants ? Telle est l'histoire du rigolo Refuge de la famille Mouchette de Inbar Heller Algazi (Les Fourmis rouges).
Comme tous les ans, nombre d'albums illustrent le thème de l'entraide. Dans Le bus jaune de Loren Long (Hongfei Cultures), un bus scolaire fait de son quotidien une joie en transportant des enfants puis des sans-abri. Boutis paradis de Jo Witek et Jimena Estibaliz (Actes Sud Jeunesse) célèbre l'amitié et la transmission. Si on ne peut trouver de solidarité à l'école, il reste toujours le recours à la poésie, comme dans le sensible Rendez-vous de l'autre côté du jour de Thomas Vinau et Charlotte Lemaire (Thierry Magnier).
De l'humour, encore, dans Loup gris sous la terre de Gilles Bizouerne et Ronan Badel (Didier jeunesse), Loup gris veut croquer Renard dans son terrier mais finit par refaire surface dans la cage d'un zoo ! Dans Allô le loup de Pauline Martin (La Partie) un enfant téléphone au loup pour le tenir à distance : "Non tu ne peux pas venir, je suis en train de dîner !" Au Seuil jeunesse une réédition du Casting de Gilles Bachelet nous fait nous tordre de rire et un nouvel opus du facétieux Antonin Louchard, Service premium, aussi ! La Ville imaginaire d'Anne Montel (Little Urban) joue avec les mots et les noms de lieux pris au sens propre : marché aux puces, moulin à paroles, etc.
Rêve et poésie
Chez Gallimard Jeunesse, Bébé Max veut un gâteau de Thibault Bérard et Tristan Mory s'amuse d'un bébé qui ne sait pas se faire comprendre auprès des grands. Bienvenue à Topopolis de Paul Martin et Alexandre Batlle (Seuil Jeunesse) étonne et détonne par son dessin foisonnant et drôle. Johnny Fêtard, de Colas Gutman et Magali Le Huche (L'école des loisirs), fête tout, même un bisou de sa mémé. Et l'éditeur Gründ nous somme d'arrêter de nous gondoler avec Arrête de rigoler, nom d'un bananier ! de Lenia Major et Claudia Bielinski.
Retour au calme avec du rêve et de la poésie. Elena Selena en met plein la vue avec Océans (Gallimard Jeunesse). Chez Gautier-Languereau, Antoine Guilloppé sonde les mystères de la nuit avec délicatesse dans Plein rêve et chez Sarbacane, Marion Arbona convie à un voyage onirique aux multiples surprises dans Dodorama. Pierre Breton libère une princesse entravée par ses sublimes étoffes colorées dans Mille kimonos quand Multicolore de Léa Maupetit (Gallimard Jeunesse) se demande où commence une couleur et où finit l'autre, dans un beau parcours en polychromie pour réfléchir à la couleur et s'en éblouir.
Et si jamais aucune illustration ne nous séduisait en cette rentrée, on pourra toujours apprendre à dessiner soi-même avec les tutos de Mathias Friman, auteur d'Une histoire de patates (Seuil Jeunesse), ou avec Hervé Tullet, qui publie deux réjouissants carnets de créativité, J'aime bien (Bayard Jeunesse et Grand Palais RMN éditions) et Wahooo ! (Bayard Jeunesse).