Anatole Berthaud, le double de Jacques A. Bertrand, dont les fidèles lecteurs sont familiers, nous raconte cette fois, à la première personne, la sacrée saloperie dont il a été la victime il y a quelques années : une tumeur (très) maligne à l’estomac, qui va lui faire vivre un véritable calvaire, jusqu’à une lourde opération, qui le laissera diminué, raccourci, mais vivant ! Pour comble de malheur, au même moment, sa femme, Héloïse, menacée d’un cancer du sein, commettait une tentative de suicide. C’est dire que, durant une longue période, la vie des deux va se passer en grande partie dans les hôpitaux, tels qu’on se les imagine : souffrances, angoisse, attentes, humiliations, manque d’empathie, perte de dignité, tentation de s’abandonner…
Mais Berthaud/Bertrand n’est pas du genre à renoncer, et il est avant tout écrivain. Et quel écrivain ! On peut même diagnostiquer que, dans la situation présente, c’est l’écriture qui l’a maintenu en vie.
Ce qui nous vaut ce petit livre difficile à résumer, cocktail de réalisme le plus cru (sans exagération), d’érudition (quand notre ami rêve, c’est en compagnie d’André Breton), de digressions savoureuses (contre la bêtise, par exemple, ou le bling-bling), et d’humour noir. Ainsi par exemple, à un moment, lorsque sa chère Héloïse déclare à Jacques Anatole qu’elle n’envisage pas la vie sans lui, il lui répond : « C’est comme moi, […] j’ai du mal à envisager la vie sans moi. »
Comment j’ai mangé mon estomac est un livre fort, un témoignage de courage jamais poseur, tout au contraire. Un livre d’espérance aussi : à la fin, le héros, en dépit de son « naturel dolent », connaît une véritable résurrection, séjournant tout seul en Thaïlande dans un village karen, près de la frontière birmane, nu sous une pluie de mousson hors saison, laquelle lui remémore les « soirs de fin d’été » d’autrefois. Il reviendra de loin, dans les deux sens du terme, guéri, de surcroît, de son vieux mal de mer : un bienfait collatéral de la chimiothérapie.
A la suite de Montaigne, Proust, Joë Bousquet et quelques autres, Jacques A. Bertrand fait son entrée au rayon des écrivains malades. Pas au Panthéon : lui, il est bien vivant, et en train de mitonner son prochain livre. J.-C. P.