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Retraduire les classiques, un "sport national"

Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l'Enfer, 1861, huile sur toile de Gustave Doré, au musée du monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse. - Photo © MRB HUGO MAERTENS

Retraduire les classiques, un "sport national"

A l'heure où Internet suscite nombre de vocations de traducteurs qui se confrontent pour le plaisir aux plus grands textes du domaine public, l'édition traditionnelle se lance, elle aussi, et avec succès, dans de grands chantiers de traduction. Inventaire de quelques monuments parus récemment ou à venir.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 05.04.2014 à 03h31 ,
Mis à jour le 13.02.2015 à 16h21

En dépit du recul en France des études classiques et des langues anciennes, on constate, depuis quelques années, un regain d'intérêt pour la retraduction des chefs-d'oeuvre d'Homère, Virgile, Dante ou Shakespeare, piliers de la culture occidentale. Des entreprises de fond, qui nécessitent parfois un investissement lourd pour lequel les éditeurs sollicitent fréquemment les aides indispensables du CNL, et reposent toujours sur la personnalité d'un "passeur" : traducteur professionnel, universitaire, poète ou simple amateur éclairé. Et, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ces publications "de niche" peuvent se tailler de jolis succès en librairie. On a ainsi vu refleurir plusieurs traductions de Don Quichotte qui ont donné une nouvelle vie à l'oeuvre de Cervantès, ou des traductions de Mark Twain.

Jacques Darras, traducteur expert de l'anglais, vient de succomber à son tour à ce qu'il appelle un "sport national" et livre, après Pierre Jean Jouve, Yves Bonnefoy ou William Cliff, le 13 février chez Grasset, sa version des cultissimes Sonnets de Shakespeare. En vers, celle-ci se veut à la fois "proche de l'original et adaptée à la prosodie moderne". Ambition que pourraient revendiquer tous les traducteurs d'aujourd'hui.

Traduit en français dès la Renaissance, au milieu du XVIe siècle, Homère a été retraduit nombre de fois depuis. Certaines de ces traductions, comme celle de Victor Bérard au début du XXe siècle, devenant "cultes, longtemps intouchables", estime Caroline Noirot, présidente du directoire des Belles Lettres, maison éditrice de la fameuse "Cuf" ("Collection des universités de France", appelée familièrement "la Budé"), pour qui l'établissement des textes anciens, leur traduction et retraduction sont tâche quotidienne.

Iliade.

Le poids de l'oeuvre elle-même et celui des traductions antérieures n'ont pas dissuadé Philippe Brunet, professeur de grec ancien à l'université de Rouen, de relever ce qu'il considère comme "un double défi". Ce spécialiste de la métrique, qui anime une troupe théâtrale et une "école de poésie", a donné en 2010, au terme de nombreuses années de "rodage", une version de L'iliade en vers rythmés, qui se veut "moderne et transparente". Envoyée par la poste aux éditions du Seuil, cette Iliade nouvelle s'est vendue à plus de 6 000 exemplaires en grand format, et vient d'être reprise en Points. Entre autres chantiers, Brunet travaille maintenant à une Odyssée, mais sans contrat signé, ni, donc, date de remise fixée. Au Seuil, Olivier Bétourné, le P-DG, dit être «tout à fait convaincu que la retraduction des grands classiques est nécessaire et représente un marché, notamment grâce à la prescription universitaire, surtout pour les collections de poche». Et de citer l'exemple de la nouvelle traduction du Guépard de Lampedusa (parue en 2007 ), "qui s'est vendue à 150 000 exemplaires environ".

Enéide.

Eminent historien de l'Antiquité romaine, ancien professeur au Collège de France, Paul Veyne vient de passer deux ans et demi à traduire L'énéide, le chef-d'oeuvre de Virgile (70-19 av. J.-C.). "Quand on vieillit, il faut bien se trouver un travail !, s'amuse-t-il. Ce fut comme une gymnastique intellectuelle. Et puis, je n'étais pas satisfait des traductions existantes de Virgile, trop académiques." Lointain successeur d'Octavien de Saint-Gelais, premier traducteur de L'énéide en français en 1509, Veyne nous livre une version en prose lumineuse, bénéficiant de ses recherches sur le sens même des mots latins. "Ainsi, arena (le sable) peut-il aussi se traduire par "la poussière", ce qui est plus cohérent quand ce sont des gladiateurs qui la mordent.»

Paru en coédition chez Albin Michel-Les Belles Lettres en novembre 2012, le livre s'est déjà vendu à 11 000 exemplaires - dont deux réimpressions à 3 000 ex. C'est Hélène Monsacré, directrice du département des sciences humaines chez Albin Michel et de la collection "Petits classiques en poche" aux Belles Lettres, qui en est l'éditrice. «A l'origine, précise-t-elle, le projet était prévu en trois volumes des "PCP", bilingues et avec un apparat critique." Cette édition scientifique paraîtra en septembre, sous coffret. "Puis, il a été décidé d'en faire une version "grand public" chez Albin Michel, en s'appuyant sur le succès des précédents ouvrages de Paul Veyne, l'auteur phare de notre département.»«Ce succès est la preuve qu'il y a vraiment un public pour les piliers de notre culture», conclut Hélène Monsacré. Caroline Noirot, elle, ajoute qu'il existe toujours, dans la "Cuf", une traduction "mythique et ancienne" de L'énéide par Jacques Perret, et que Les Belles Lettres publieront, en 2014, une nouvelle traduction en vers de l'épopée virgilienne par Olivier Sers, un avocat en retraite qui s'était déjà essayé au Satiricon.

Comédie.

Quant à La comédie de Dante (1265-1321), elle n'est plus "divine" dans la nouvelle traduction en vers que vient d'en donner Jean-Charles Vegliante, professeur à Paris-3 Sorbonne nouvelle, et poète pour "Poésie/Gallimard", tirée à 8 000 ex. Laquelle reprend, refondue, celle en trois volumes parue à l'Imprimerie nationale à partir de 1995. «C'est Boccace qui l'a qualifiée de "divine". Dante, lui, disait : La comédie, poème sacré. » Vegliante a tenté de rendre l'hendécasyllabe des tercets dantesques, dans un travail qu'il veut «fidèle et beau à la fois". Aux antipodes de celle, illustre, de Georges Pézard. Disponible dans la "Pléiade" et qui est «une création en soi, un monument", selon Hugues Pradier, responsable éditorial de la collection chez Gallimard, lequel espère aussi un jour mettre en chantier une traduction nouvelle, et "avec joie".

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