2 mai > Roman Canada

Kim Thúy poursuit le délicat voyage dans son histoire bouleversée entamé avec Ru, multiprimé (Liana Levi, grand prix RTL-Lire 2010), traduit dans plus de vingt langues. Vietnamienne née en 1968, arrivée à 10 ans au Québec avec les premiers "boat-people", lorsque sa famille a fui Saigon au moment de l’arrivée au pouvoir des communistes, Vi, la narratrice de ce quatrième livre, porte la même expérience que l’écrivaine, ce même double héritage : le pays natal brutalement laissé derrière soi et la terre d’exil devenue terre d’accueil. La nostalgie et la reconnaissance. Ainsi ce récit remonte aux sources, retrace la généalogie qui lie les exilés au-dessus des mers, connecte les générations à celles qui les ont précédées.

En vietnamien, Vi signifie littéralement "Précieuse minuscule microscopique". C’est le prénom de l’héroïne, qui deviendra trop petit pour elle, "la petite dernière", seule fille derrière trois frères. Au début du livre, on est dans le Viêt Nam des parents, des grands-parents. Le grand-père paternel est juge et "richissime propriétaire foncier", marié à "une femme connue dans toute la Cochinchine pour sa beauté gracieuse et sa volupté". De ce couple aisé naît le père, seul garçon arrivé après six sœurs, choyé comme un trésor. Ce monde privilégié bascule au moment de la réforme agraire. Le père a 20 ans et va éviter le déclassement en épousant une fille des hauts plateaux au physique ingrat mais dotée d’un très grand sens des affaires, qui "dès la première année de mariagea créé un trône pour permettre à mon père d’être le souverain de son royaume en achetant un entrepôt et une villa à Saigon". Mais en 1975, la famille "bourgeoise capitaliste" est menacée. La mère quitte le pays clandestinement en bateau avec ses quatre enfants. Le père reste. Après la traversée, quelques mois passés dans un camp de réfugiés en Malaisie, c’est l’arrivée au Canada où le frère aîné devient chef de famille, et l’acclimatation active des réfugiés. Et vingt ans plus tard, après des études de traduction puis de droit à l’université, l’opportunité de revoir le pays des ancêtres.

Comme Vi et ses frères, comme la mère et sa jeune amie, Hà, deux magnifiques personnages de guerrières de l’ombre, Kim Thúy fait partie de ceux qui ont survécu. A l’arrachement, "aux tempêtes en haute mer". Et de livre en livre, avec pudeur et simplicité, elle célèbre dans ce français poétique hérité de l’exil et tissé des mots et des noms des origines, la chance qui lui a offert une seconde vie. V. R.

15.04 2016

Livres cités

Auteurs cités

Les dernières
actualités