Enquête

Résilient et en quête de visibilité : le marché de la revue en 2024

Le rayon revues à la librairie Compagnie, à Paris - Photo Antoine Masset

Résilient et en quête de visibilité : le marché de la revue en 2024

Alors que s'ouvre le 34e Salon de la revue, les acteurs de ce marché caractérisé par la modestie de ses tirages bataillent pour exister en librairie.

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Par Antoine Masset
Créé le 10.10.2024 à 21h00

Comment va le marché de la revue ? À l’aube du 34e Salon de la revue, les 11, 12 et 13 octobre à la Halle des Blancs-Manteaux à Paris (IVe arrondissement), ses acteurs conviennent dans l'ensemble de leur difficulté à toucher le lectorat. « Il faut aller chercher le lecteur aujourd’hui, avant c’était l’inverse », confirme Aurélie Julia, directrice de La Revue des Deux Mondes.

Il est vrai que le secteur est en grande majorité constitué de titres artisanaux, personnels et appartenant au domaine universitaire. Il existe aussi quelques revues historiques bénéficiant d'une meilleure diffusion, et d’autres adossées à des maisons d’édition. Dernièrement les mooks ont eux aussi participé à la recomposition de l'offre.

Garder l’équilibre

L'association Ent’revues, qui organise le Salon de la revue, comptabilise au moins 2 500 titres francophones vivants dans son annuaire actualisé continuellement en ligne. Créée en 1986, elle informe et accueille les revues sur le marché grâce à un travail de veille permanent.

« Ce sont des petites structures peu touchées par les tendances du marché au vu de leur taille, analyse Yannick Kéravec, directeur d’Ent'revues. C’est un mouvement continu du marché, une énergie perpétuelle. Les revues cherchent un équilibre et ne comptent pas sur un apport extérieur, c’est une économie de résistance. Dans le fait de grossir, il y a la crainte d’en perdre la maîtrise. »

Leur ambition n’est pas commerciale mais plus artistique, épanouissante et axée sur la création. Tous les auteurs ne sont pas rémunérés, ce qui parfois peut apparenter leurs contributions à un hobby et à un besoin de partager.

Faibles tirages

« Les revues ont longtemps joué un rôle dans la recherche, ce sont des laboratoires. Les auteurs y font aussi leurs armes, c’est l’antichambre de l’édition », affirme Mathieu Mulcey, directeur de publication de L’Amorce, revue sur l’antispécisme et pour la cause animale rattachée à la maison Eliott dont il est le fondateur. Déjà existante sur le numérique, elle a publié son premier numéro papier au printemps 2024 avec notamment un article de Peter Singer, philosophe australien mondialement reconnu sur la question animale.

Avec un tirage moyen compris entre 800 et 1 000 exemplaires, leur premier numéro s’est vendu à plus de 500 unités pour le moment. « L’objectif financier est de ne pas perdre d’argent et de rester à l’équilibre. La revue a davantage un but éditorial et intellectuel. Je ne comptais pas prendre une retraite précipitée grâce à cette revue », s’amuse-t-il.

Ent’revues compte une soixantaine de nouveaux titres par an. A contrario, il est difficile de tenir le compte de celles qui cessent de publier, nombre de revues ayant des rythmes de parution irréguliers, voire aléatoires.

Difficile à classer

Du côté du format, le papier reprend le dessus sur le numérique après l’essor de l’informatique à ses débuts. Certaines revues comme L’Amorce deviennent hybrides. Une hybridité que l’on retrouve aussi dans les thèmes abordés et rend les revues difficiles à appréhender par les libraires, qui se demandent souvent comment les classer. « Ils sont très réticents à en avoir, critique Mathieu Mulcey. Cela rajoute une difficulté à être présent et on dénote une tendance, même si le premier numéro s’est vendu raisonnablement, je suis surpris de la frilosité des libraires. »

Rayon revue littéraire chez Gibert Joseph
Rayon revue littéraire chez Gibert Joseph- Photo ANTOINE MASSET

Chez Gibert Joseph, boulevard Saint-Michel (VIe arrondissement), première librairie de France en termes de chiffre d’affaires, les revues sont classées par genre à différents étages. Les littéraires au premier, les philosophiques au 3e et les scientifiques au 5e par exemple. La librairie reçoit 10 revues par mois au rayon littéraire. Placées à la base d’un présentoir, elles sont peu mises en valeur.

Chez la librairie Compagnie, rue des Écoles (Paris Ve arrondissement), un couloir entier est dédié exclusivement aux revues, peu importe le genre. « C’est un rayon qui ne fait que diminuer. On prend 20 exemplaires pour les gros titres et un ou deux pour des plus modestes comme celles sur de la poésie », explique un vendeur.

Rayon revue scientifique chez Gibert Joseph
Rayon revue scientifique chez Gibert Joseph- Photo ANTOINE MASSET

Autre obstacle à la pérennisation de certaines revues : la diffusion et la distribution. « C’est très compliqué de dépasser la proximité géographique dans les moyennes et petites villes, présente Yannick Kéravec. Ils doivent faire la tournée des libraires et stocker à domicile. Il y a plein de procédés professionnels compliqués pour prendre de l’ampleur comme les frais postaux et de transport. »

Éclairer ou être éclairé

On retrouve aussi cette hybridité chez La Revue des Deux Mondes, créée en 1829. Au départ dédiée au voyage, elle s’adresse maintenant à des lecteurs avertis sur la géopolitique et la littérature. Avec aujourd’hui neuf publications par an, 40 000 abonnés, 5 000 ventes par numéro pour un tirage à 12 000, ses finances restent stables. « On essaye d’avoir un budget à l’équilibre. Il faut savoir que tous nos auteurs sont rémunérés », clame Aurélie Julia.

Autrefois, de grands noms de la littérature signaient dans les pages de la revue comme Victor Hugo, Honoré de Balzac ou encore Charles Baudelaire et ses Fleurs du Mal en 1855. La Revue des Deux Mondes continue d'accueillir des écrivains comme Raphaël Doan, ou de s’entretenir avec d’autres comme Kamel Daoud pour son roman Houris (Gallimard), sélectionné dans plusieurs grands prix.

Aurélie Julia déplore néanmoins un manque de visibilité de la part des médias pour le monde de la revue en général. « On n’est plus assez soutenus. Des émissions dédiées sur France Culture et Notre-Dame ont disparu par exemple. Il est rare qu’on parle de revues dans les médias et je ne comprends pas ce fossé. »

Le monde de la revue continue néanmoins d’exister, avec un large écosystème tapi dans l’ombre qui ne demande qu’à être mis en lumière. La 34e édition du Salon de la revue à Paris endossera ce rôle le temps d’un week-end.

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