Longtemps les collections ont été au cœur des bibliothèques. Il s'agissait d'offrir le catalogue le plus large à la population. Comme d'autres villes, Rennes a commencé par tisser un réseau de 13 bibliothèques avant d'ouvrir récemment le vaisseau amiral (Les Champs Libres). Ce dernier aspire à lui une partie des usagers qui jusqu'alors s'approvisionnaient dans le réseau à l'intérieur duquel des collections assez fournies étaient proposés. Les Rennais mobiles (les Champs Libres sont desservis par le métro) et friands de collections étendues se rendent spontanément vers ce lieu. C'est donc du fait d'une logique stable qu'une partie des usagers quitte les bibliothèques de quartier. Ce constat ne doit donc pas choquer les professionnels, il n'est pas une surprise.   Dès lors, pourquoi une partie des professionnels conteste l'évolution qui consiste à transformer deux bibliothèques de quartier ? Les Champs Libres sont principalement la traduction de la médiathèque définie par ses collections... Lisons le descriptif du navire amiral : «  Les collections qui comptent plus de 500 000 documents sont réparties sur six pôles thématiques : jeunesse ; musiques ; sciences et techniques ; langues et littérature ; art, société et civilisation ; patrimoine. Au dernier étage, on découvre le musée du Livre et des Lettres Henri-Pollès, extraordinaire collection de littérature française soigneusement mise en scène. Enfin, au rez-de-chaussée, l'espace Vie du Citoyen propose un vaste panorama de la presse régionale, nationale et internationale...  ». Comment les bibliothèques de quartier peuvent-elles rivaliser avec cette abondance ? Elles sont condamnées à voir la partie de leur public le plus gourmand, curieux et mobile à les abandonner durablement... Comment assurer leur avenir en refusant toute redéfinition ? Si le statu quo est impossible la question devient alors : qu'est-ce qu'une bibliothèque dont le cœur n'est pas la collection ?   La réponse qui se préfigure (Cf. le décryptage de L. Santantonios dans LH 803 ) ouvre des perspectives véritablement nouvelles. Ce lieu serait celui de la lecture plutôt que celui des collections. Il pourrait tout à fait conserver l'appellation « bibliothèque » mais on pourrait aussi le désigner sous le nom de « point lecture ». Il est en tous les cas urgent et nécessaire de le nommer pour que ne se forme pas un sentiment de vide. Ce lieu serait consacré à la lecture en tant qu'activité de socialisation. On peut venir y lire la presse (une sélection réduite et ouverte sur les titres populaires) et en parler. La lecture solitaire, qui doit aussi être possible, relève bien aussi de la socialisation car c'est une lecture en public. On peut trouver un fonds réduit et accordant une place importante à la production éditoriale à même d'intéresser les publics à conquérir (jeunes et milieux populaires notamment). Il s'agira de promouvoir la lecture (comme technique de déchiffrement de texte plus que comme pratique culturelle légitime) auprès des publics qui sont nombreux à contourner la bibliothèque et qui ne vont pas aux Champs Libres trop éloignés géographiquement et culturellement. Ce sera aussi un lieu d'étude pour les scolaires mais aussi ceux qui apprécient une atmosphère studieuse (socialisation du travail). Des postes Internet seront aussi à disposition car la lecture repose aujourd'hui largement sur ces écrans. Pour tous ces services nouveaux (ou à développer), il faut de l'espace qui sera pris sans regret sur les collections.   Cette expérimentation préfigure, selon moi, une évolution souhaitable des bibliothèques. La définition classique (par les collections) de cet équipement rencontre des limites... Après tout, entre 2004 et 2008, c'est dans les communes de plus de 50 000 habitants que la proportion de baisse du nombre d'entrées physiques dans la bibliothèque centrale a été la plus grande (75%). Les « navires amiraux » le sont uniquement si on définit la bibliothèque par la place centrale des collections. A l'évidence, il n'est pas sûr que cette conception largement professionnelle soit partagée par les destinataires de ces équipements. A quoi bon s'accrocher à cette définition dans des bibliothèques de quartier c'est-à-dire quand l'accent peut être mis sur la proximité, la socialisation, la prise en compte réelle de la population ? Loin d'être l'arrière-garde de la lecture publique, il se pourrait fort bien que cette évolution dessine le visage de la bibliothèque de l'avenir !  
15.10 2013

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