Après les années 1950 dans Souvenirs de l'empire de l'atome (Dargaud, 2013) et les années 1960 dans L'Eté Diabolik (Dargaud, 2015) (1), Thierry Smolderen (scénario) et Alexandre Clérisse (dessins et couleurs) plongent dans les années 1980 avec un album foisonnant. C'est le temps des jeux de rôles type Donjons et dragons et des débuts de l'informatique, celui du Walkman et du canabis pour tous parmi des adolescents abandonnés par des parents post-soixante-huitards dépassés. Autant d'ingrédients que les deux auteurs vont mélanger au shaker pour, semant une ribambelle de meurtres sanglants, produire une sorte de « college thriller » à la française. Côté scénario, un cocktail détonnant de dérives adolescentes, de pathologies psychiatriques et de fantastique teinté d'orientalisme. Côté dessin, Alexandre Clérisse signe son album le plus maitrisé avec l'alliage convaincant d'un graphisme et de couleurs pops tirant vers le psychédélique avec un soupçon d'influences gothiques.

Dans une ville moyenne du sud-ouest de la France, dans la grande région de Toulouse des adolescents trompent leur ennui du lycée au café et à la campagne proche en jouant à un jeu de rôle, L'appel de Cthulhu. Il y a là Sam, dont le père alcoolique et la mère se déchirent, et Henri, rebelle et frondeur. Il y a aussi Marie, incertaine d'elle-même et facilement influençable, qui vit dans une roulotte, et Oriane, fausse sorcière et vraie perverse. Il va surtout bientôt y avoir Mélusine, une nouvelle élève du lycée qui revient de Beyrouth avec toutes sortes d'histoires et d'objets ramenés du Proche-Orient, entre légendes et archéologie. Son arrivée diversement appréciée va susciter un enchaînement d'événements dramatiques et - au second degré - loufoques. A commencer par son propre accident de voiture, qui la plonge dans le coma.

Pour Henri et Sam, le jeu de rôle devient un instrument pour ramener leur amie à la conscience. Mais dans le même temps toute la famille de Dani, un ami d'origine indienne de Sam, qu'il venait de retrouver après deux ans de brouille, est la victime d'un massacre sanglant dans sa luxueuse villa et les deux adolescents sont soupçonnés. Rêve et réalité, réel et virtuel se confondent dans ce conte fantastique aux multiples ramifications - il y a même dieu, ou tout au moins les dieux dans tout ça - dans lequel on se perd avec délice avant de s'accrocher - littéralement - aux branches, qu'Alexandre Clérisse dessine souvent décharnées, pour se frayer un chemin.

(1) Voir LH 1058, du 16.10.2005, p. 58.