Ce n’est pas que je veuille donner des conseils (quoique, nous sommes le 12 mars aujourd’hui, et j’ai toujours aimé donner des conseils le 12 mars), mais si j’étais éditeur, je rééditerai « Pourquoi les coiffeurs » ? de Charles Nemes, paru aux Editions Balland, avant leur dépôt de bilan. Quelle angoisse pour un écrivain : la faillite de son éditeur. Je conserve de ce roman un souvenir merveilleux. Il s’agissait pour moi d’un de ses livres qu’on achète plusieurs fois, et qu’on offre à des amis (oui, j’avais des amis à l’époque… que sont-ils devenus d’ailleurs ? J’aimerais bien les revoir, au moins pour savoir s’ils ont encore des cheveux…). Après avoir lu ce roman, je me suis souvenu que Charles Nemes était aussi le réalisateur d’un film que j’avais beaucoup aimé. Pour tout dire : je l’avais vu dans des conditions particulières de ma vie, pendant ma convalescence, après ma longue maladie d’adolescent (non, je ne cherche pas à jouer le mythe de l’écrivain malade dans sa jeunesse, c’est vrai). Ce film est « La fiancée qui venait du froid ». A ce moment de ma vie, chaque respiration comptait dans ma vie, j’avais l’impression d’être un survivant. Je me souviens avoir pleuré avant la diffusion de ce film, et qu’il m’avait réconforté. Cela ne s’oublie pas. Son dernier livre, « Un chien dans la gorge », paru chez Lattès, est un livre-choral. On y trouve une multitude de personnages aux frontières d’un certain surréel. A commencer par leurs prénoms. Celui qu’on peut considérer comme le héros se prénomme Cloud. Son hobbie est d’aller aux enterrements : quand on flotte autant dans la vie c’est peut-être la seule façon de se sentir vivant. Comme son nom l’indique, c’est un homme tempéré, à la vie molle, à la création molle, et qui, bien symboliquement, imite la voix de son meilleur ami, célèbre animateur de radio, véritable « narcissique du raisonnement » ayant perdu la voix. D’ailleurs, les auditeurs préfèrent l’imitation à l’original : serions-nous tous meilleurs en vivant la vie d’un autre ? Cloud est un personnage fascinant. Car il est assez rare : c’est une sorte de looser (le mot est un peu fort) dont on pourrait vouloir la vie. C’est tout le talent des paradoxes chez Nemes. Cela tient surtout à l’élégance. Jamais un mot plus haut qu’un autre, une façon de ne jamais se plaindre : « leur pratique érotique fut ainsi banale et intense pendant plusieurs années, jusqu’au premier test de grossesse positif qu’elle rapporta de la salle de bains, trophée de plastique qui annonçait la fin de leur vie sexuelle ». Avec une telle mesure, la vie n’est jamais vraiment décevante. Dans les livres de Nemes, on partage l’addition en quatre après avoir mangé sans appétit, on éprouve des capacités à être intimidé et le tout forme une belle tristesse, presque romantique. On y trouve un personnage qui court toute sa vie après une femme ; celle-là même qui, pourtant, a des urgences érotiques. Et Dieu dans tout ça ? Il est présent à travers deux femmes : l’une fâchée, l’autre bigote. Comme un équilibre permanent. C’est un roman qu’on aurait pu appeler : la modération. Avec un bandeau : à lire sans modération. Mais Nemes aime trop le mot chien, puisque son premier roman avait ce titre génial : « Je hais mon chien ». Lâcher les chiens, c’est se libérer des contraintes, écrit-il. Alors voilà, ce roman est une promenade dans le domaine des contraintes, dans cette vie où il faut rester joignable. Le livre de Houellebecq, « la possibilité d’une île » est cité de part en part, car cela reste notre ambition moderne de rejoindre un bout de terre sans attaches. Allez, mon petit Cloud, repose en paix maintenant. *** Trois vœux de Charles Nemes (en texte) : Je regarde la fée qui attend, patiente, mes trois vœux. Elle est gracieuse, menue, un rien inattentive. On ne doit pas pouvoir lui demander la paix dans le monde ou le vaccin antisida, à cette Viviane-là. Je me résous à des souhaits plus modestes, plus personnels, plus égoïstes. Tant mieux, me dis-je en secret. « Alors, chère fée, voici mes vœux : voir un de mes livres trouver le chemin d’un public enfin nombreux, retrouver la capacité de tomber amoureux comme à trente ans… » — là, je me rends compte que je suis allé trop vite, il y a tant d’autres choses que je désire ; j’enchaîne : « enfin, obtenir une réserve inépuisable de vœux. » Elle grimace et disparaît. Je reste seul, le cœur battant, avec mon dernier roman et l’impression d’avoir été trop gourmand. Vraiment ? P.S. : pour notre jeu concours de la semaine dernière, il s’agissait bien sûr de la philosophe d’origine roumaine : Anne Roumanof.
15.10 2013

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