A 17 ans, le Virginien Kevin Powers s’est engagé dans l’armée et est parti se battre en Irak, en 2004 et 2005. Une expérience terrible, bien sûr, qu’il a tenté de mettre en roman. Aux Etats-Unis, Yellow birds a été finaliste du National Book Award. En France (Stock, 2013, repris au Livre de poche en 2014), il a reçu le prix littéraire Le Monde et le prix du Meilleur roman étranger 2013 du magazine Lire. Son héros, son double, s’appelait "le soldat Bartle ", on ne l’avait pas oublié. On le retrouve aujourd’hui dans le poème Lettre écrite pendant une accalmie dans les combats, au début du recueil du même nom, écrit parallèlement à Yellow birds. Powers, qui a étudié, à son retour aux Etats-Unis, la poésie à l’université d’Austin, Texas, accorde une place capitale à ce moyen d’expression, à sa puissance d’évocation, à son pouvoir sur le lecteur : "Si des fils sortaient de ce poème, écrit-il dans Engin explosif improvisé, vous ne le liriez pas." Ce deuxième livre a été sélectionné pour de nombreux prix de poésie américains, dont le prestigieux T. S. Eliot.
Lettre écrite s’articule en sections, sobrement numérotées de un à quatre. Les poèmes y sont souvent des adresses d’un narrateur à ses proches, pour les prendre à témoin. Sa femme restée au pays, ses parents défunts, qu’il évoque à diverses reprises dans son livre, avec tendresse et émotion. Son père, fan absolu de Chevrolet, et sa mère, apparemment d’origine portugaise et enterrée au Portugal, "sous le chêne-liège et les blés".
Mais naturellement, c’est la guerre qui occupe le premier plan dans la tête de l’écrivain. Culpabilité d’avoir tué : "Que signifie Je l’ai fait ? […]/ Les preuves de chacun de nos crimes existent." Brefs moments de répit : "Je suis soulagé/de n’avoir pas à choisir, pour un jour au moins,/entre mourir et tirer sur un enfant." Déploration des camarades tombés au combat dont on n’a pu éviter la mort, ou description réaliste des blessés hospitalisés au pays : Curtis Jefferson, "handicapé de corps et d’esprit", ou Steven Abernathy et "le moignon rouge de sa jambe". Lui-même a eu du mal à se réadapter : "[…] j’ai oublié comment vivre", dit-il. Mots terribles. Comme ses évocations hallucinées, celle, évidente pour un Américain, du Vietnam, ou encore celle des bombardements de Dresde, en février 1945. Mais heureusement, ce sont les mots, prose ou poésie, qui ont sauvé le soldat Powers. Il est retourné dans son Richmond natal "tenter de vivre", comme disait un autre poète, Paul Valéry. Et écrire son deuxième roman. J.-C. P.