40 000 kilomètres, soit l'équivalent d'un tour du monde. C'est ce que parcourt chaque année Jean-Simon Mandeau, chargé de diffusion de Cheyne éditeur depuis 2017. De Calais à Nice, de Saint-Gengoux-le-national (Saône-et-Loire) à Bort-les-Orgues (Corrèze), il sillonne en voiture les routes de France, Suisse et Belgique, avalant podcasts et kilomètres. Une vie on the road, une semaine sur deux, pour un poste unique dans l'univers de l'édition poétique.
L'autodiffusion, un choix politique
« Je suis le seul salarié en France à être payé pour une diffusion unique. Les maisons de poésie qui s'autodiffusent le font essentiellement de manière bénévole. C'est un luxe qu'on se paye, je coûte cher, et c'est bien pour ça que personne d'autre ne le fait, mais ça nous permet de défendre chaque titre auprès de chaque libraire, ce qu'on ne pourrait pas faire avec une diffusion-distribution classique, où on serait noyés au milieu de tout le reste », estime Jean-Simon Mandeau qui voit dans l'autodiffusion un choix aussi économique que politique. « Cheyne, ce n'est pas que des livres, c'est un mode de fonctionnement », souligne-t-il.
De fait, au commencement, Cheyne était une imprimerie fondée en 1978 au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire. Deux ans plus tard, les fondateurs Jean-François Manier et Martine Mellinette se lancent dans l'édition de poésie, réunissant en interne tous les métiers du livre : édition, fabrication (impression et façonnage), diffusion et distribution.
Avec les 400 librairies partenaires qu'il visite une fois par an, afin de présenter la dizaine de nouveautés annuelles, le chargé de diffusion est aux petits soins. « Pendant le rendez-vous, qui dure une demi-heure, je leur donne des indications dont ils vont pouvoir se resservir avec les lecteurs comme des mots-clés ou des résonances avec d'autres œuvres », cite-t-il en exemple. Pour ces librairies partenaires – à savoir celles dont le fonds compte une quinzaine de titres du catalogue – la remise monte à 37 %, contre 33 % pour les autres. Jean-Simon Mandeau s'occupe aussi de repartir avec les retours, qui font l'objet d'échanges avec d'autres livres du catalogue, ce qui évite les frais de port.
Parler de la beauté
Après sa visite, les livres arrivent en librairie quelques jours plus tard seulement, envoyés depuis l'Ardèche où la maison est installée depuis 2013, par Franck Fressinet, chargé des envois. « À l’intérieur des ouvrages, il y a un mémento, quelques phrases pour rappeler ce que j'ai dit. Certains libraires découpent ces papiers pour les mettre dans les livres », observe Jean-Simon Mandeau.
Des attentions particulières qu'il a lui-même expérimentées dans une première vie de librairie. En 2007, cet Ardéchois crée en effet Voyages au bout de la nuit à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône), qu'il tient dix ans en tout, dont deux en itinérance. Il reçoit alors la visite de Jean-François Manier chaque année. « Quand je le voyais arriver, je me disais : enfin, on ne va pas parler chiffre mais beauté de l'objet, beauté du texte », se souvient-il.
Un esprit que le diffuseur continue de colporter, avec de jolis succès à la clef. Matin brun, de Franck Pavloff, une fable grinçante et militante dénonçant le fascisme, s'est vendue à plus de 2,4 millions d'exemplaires depuis 1998. Mais la nouvelle garde poétique, publiée par exemple dans la collection du Prix de la Vocation, à l'instar de Loréna Bur, Victor Malzac, Célestin de Meeûs, Laura Vazquez, ou encore Jean d'Amérique, connaît aussi une envolée des ventes, certains atteignant les 1 000 exemplaires, contre 300 à 400 en moyenne.
En librairie aussi, l'impact est réel. À Chambéry par exemple, la librairie Garin a vu le chiffre d'affaires de son rayon poésie doubler entre 2022 et 2024, tandis que les ventes de Cheyne étaient multipliées par sept.
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