L'œuvre de Pierre Loti (1850-1923) est considérable, et aussi complexe que vaste. D'abord parce qu'il a pratiqué plusieurs genres littéraires, à sa façon : un Journal intime colossal, tenu durant plus d'un demi-siècle (1866-1918), qui constitue en quelque sorte la matrice du reste, où il a puisé abondamment ; des romans, assez peu en vérité, qui lui ont apporté la célébrité et se lisent toujours, comme Aziyadé, Le roman d'un spahi, Mon frère Yves, Pêcheur d'Islande, ou Ramuntcho. La plupart sont ce qu'on appellerait aujourd'hui des autofictions et s'apparentent à un autre genre, là où Loti, sans conteste, a donné le meilleur de son talent : le reportage, matière à récits de voyages. Grâce au métier de Julien Viaud, le vrai nom de Loti, officier de marine, l'écrivain a passé sa vie à voyager. Tant pour des raisons professionnelles, mais le carnet de notes n'était jamais loin, que pour des voyages privés (congés sans solde mis à profit pour partir longtemps et loin) ou encore de mystérieuses missions diplomatiques, sur lesquelles on ne sait pas grand-chose. Ami de tous les puissants de son temps, comme Clemenceau ou Poincaré, l'écrivain officier patriote semble avoir rendu quelques services à son pays, en Perse par exemple.
Et tout cela a produit du texte, en abondance. Le plus souvent à chaud, dans la presse : Le Figaro, L'Illustration, La Revue des Deux Mondes, surtout, ont accueilli ses innombrables articles, écrits à la fois pour étancher sa soif d'être publié, et lui procurer de l'argent. Loti vivait sur un grand pied, et la solde de l'officier Viaud, qui finit capitaine de vaisseau, ne lui suffisait pas ! La plupart de ces textes courts ont été revus et repris par l'auteur en volumes, voire intégrés à des récits, et ont déjà fait l'objet d'anthologies, avec quelques espoirs d'inédits : Récits d'ici ou d'ailleurs (Omnibus, 2012) et De l'île de Pâques à Obock, en passant par Séoul... (Arthaud, 2019). S'y ajoute aujourd'hui Le monde en passant, qui aurait pu être la devise de l'écrivain.
Cette vie itinérante a également inspiré un roman graphique, Pierre Loti. Une vie de voyageur, signé Alain Quella-Villéger, Didier Quella-Guyot, et Pascal Regnauld au dessin (Calmann-Lévy). Les auteurs font raconter par Loti les principaux épisodes de son parcours à son amie la princesse Alice de Monaco, venue lui rendre visite chez lui à Rochefort en 1913. Le rendu est assez sage, un peu didactique. On aurait pu y mêler les dessins et photos de Loti, deux autres de ses talents annexes. Parmi les publications commémoratives du centenaire de sa mort, la plus inédite est Gustave à la mer, d'Alain Quella- Villéger. Cette biographie parue en octobre dernier chez Bleu Autour est consacrée à Gustave Viaud (1836-1865), le frère aîné « chéri » de Julien, chirurgien de marine mort en mer des fièvres attrapées en Indochine. Un modèle, un drame, un traumatisme dont Loti ne se remit jamais tout à fait. Gustave se retrouve dans certains de ses personnages, et dans toutes ces reliques pieusement conservées dans sa maison-monde de Rochefort. Loti s'est même rendu à Tahiti, là où Gustave était passé avant lui, pour s'enquérir de deux enfants éventuels. Fake news, mais belle fraternité, par-delà la mort.
Le monde en passant Reportages réunis et présentés par Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier
Calmann-Lévy
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 21,50 € ; 384 p.
ISBN: 9782702185797
Pierre Loti : une vie de voyageur
Calmann-Lévy
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 20,90 € ; 160 p.
ISBN: 9782702182277