Dans Le dictateur, Charlie Chaplin affublé en Hitler joue avec le globe terrestre tel un ballon gonflé d’air. Aujourd’hui, le monde, converti au concept de légèreté, semble s’être affranchi des lois de la gravité et évolue dans une atmosphère de fluidité planétaire, et le dictateur, c’est le marché couplé à l’individu tout-puissant.
Le léger touche tous les domaines. L’économie : avec la financiarisation accrue du capitalisme, l’argent est plus volatil que jamais ; la technologie : la révolution numérique a fluidifié la communication, les transports, la culture, et les nanotechnologies inaugurent le nomadisme de l’objet ; l’art, où c’est souvent l’idée d’œuvre qui fait l’œuvre ; la consommation : l’hyperconsumérisme a donné une infinité de choix au néoconsommateur, toujours plus exigeant ; la vie privée : l’autonomisation a fait exploser les modèles de famille ou de couple. Jusqu’à notre propre corps, la légèreté impose ses valeurs de dynamisme, son esthétique aérienne : "La mobilité qui caractérise le consommateur contemporain est fille des processus de dérégulation, de détraditionnalisation et d’individualisation hypermoderne." Obligation de sveltesse, passage obligé au club de gym et régime macrobiotique doublé d’exercices paraspirituels type yoga nous libérant des chaînes de la matérialité du quotidien, il n’y a plus que les pauvres élevés à la malbouffe pour être obèses !
Dans son nouvel essai, De la légèreté, le philosophe Gilles Lipovestky analyse les différentes typologies de la légèreté (légèreté-style, légèreté-distraction, légèreté-sagesse). Et sans stigmatiser pour autant cette nouvelle civilisation du light, il note ce paradoxe : "Alors même que resplendit l’euphorie du bien-être matériel, le mal-être subjectif poursuit indiciblement sa course, remettant toujours à demain la légèreté d’être." S. J. R.