Si Patrick Lemoine vous demande ce que vous lisez, jouez la prudence. Ce psychiatre de haut vol s'y connaît comme nul autre pour jauger ce qui cloche. Mais il serait encore plus inquiet si vous lui confiiez ne rien lire « car quand vous êtes déprimé, vous n'avez plus goût à rien, y compris à la lecture ». C'est donc tout naturellement que ce docteur en neurosciences, ancien praticien hospitalier et directeur d'enseignement clinique à l'université Claude-Bernard de Lyon s'est intéressé aux personnages de fiction et à leurs créateurs, les écrivains. Oh, pas tous les personnages, seulement ceux qui ne vont pas bien comme Macbeth, Monsieur Jourdain, Peau d'âne ou les protagonistes des cauchemars d'Edgar Allan Poe. Il ne fait pourtant pas de lien systématique entre génie et folie. « Les grands génies sont souvent des bipolaires, mais la plupart des bipolaires n'ont aucun génie », affirme-t-il.

Avec la complicité de la journaliste Sophie Viguier-Vinson pour la partie littéraire, il a imaginé que le Don Quichotte de Cervantes, le Gregor Samsa de Kafka ou l'Orlando de Virginia Woolf pouvaient être ses patients. À chaque fois, après un rappel de la pathologie à travers des extraits de l'œuvre, il pose un diagnostic et envisage un traitement. « Dans le cas de Macbeth, c'était inutile. Mais par exemple, pour le narrateur du Horla de Maupassant, je serais passé à côté, tout simplement parce que je n'ai jamais rencontré de cas de neurosyphilis. J'aurais pris son cas, à tort, pour de la schizophrénie. Voilà pourquoi il faut rester prudent en la matière. Si je n'ai aucun problème avec l'analyse des personnages historiques ou imaginaires, il faut se méfier quand on s'intéresse aux contemporains. Aujourd'hui je ne classerais plus l'abbé Pierre dans la même catégorie... »

De son père médecin, Patrick Lemoine a gardé la passion des patients. Grand spécialiste du sommeil, il a consacré une bonne partie de sa carrière à étudier les troubles qui lui sont liés comme la dépression, l'anxiété et le sevrage des médicaments. Il a plaidé pour une réforme de la psychiatrie, notamment en dénonçant la prescription excessive de psychotropes et en appelant à un meilleur remboursement des psychologues pour alléger la charge des psychiatres. En dépit de sa spécialité, Patrick Lemoine ne s'endort pas sur ses lauriers et il puise aujourd'hui dans les personnages de fiction. « La description des pathologies, des perversions et des comportements est bien meilleure chez les écrivains que chez les psychiatres. Il n'y a pas de meilleure description de la maladie d'Alzheimer que dans La vieille qui marchait dans la mer de San-Antonio, alias Frédéric Dard. »

Patrick Lemoine voit même dans la lecture une forme de thérapie douce. « La lecture aide à se projeter au-delà des tourments, parce qu'un auteur en a fait un moment à partager, au cœur même de ce qui constitue notre humanité. Ce travail avec Sophie Viguier-Vinson m'a beaucoup appris sur ce que la littérature nous apporte chaque jour, sur ce qu'elle nous permet de voir, de comprendre et sur les découvertes qu'elle nous offre. »