Un diable dans un bénitier. Joris-Karl Huysmans (1848-1907) a connu un regain de notoriété grâce à Michel Houellebecq. Ce dernier avait fait de François, le personnage principal de Soumission (Flammarion, 2015), un professeur spécialiste de l'auteur de Là-bas (1891). Houellebecq voyait en Huysmans une sorte de précurseur dans son exploration des bas-fonds d'une société décadente, passant du satanisme au catholicisme.

Ce drôle de paroissien a intrigué Agnès Michaux. Cette ancienne journaliste des grandes années Canal+, aujourd'hui écrivaine, est allée y voir de plus près. Pour autant, il ne s'agit pas d'une biographie classique. Plutôt d'un essai inspiré fouillant dans la vie d'un écrivain qui commence dans le marigot naturaliste pour s'achever dans l'eau claire du bénitier. Enfin, pas si limpide que cela. Il faut plus de 700 pages pour éclaircir ce parcours. Il aura pour cela été nécessaire de se défaire de la posture, de humer les textes, d'y trouver des parfums de vérités, de sentir le décati et la désespérance fabriquée. Au fil du livre, on voit bien comment la lectrice et l'œuvre se sont apprivoisées. À rebours, roman le plus connu de Huysmans, paru en 1884, met en scène un aristocrate misanthrope, sombre et blasé dont l'existence oscille « entre la douleur et l'ennui », le fameux Jean des Esseintes. En trois séquences, « le fils », « le père » et « le Saint-Esprit », Agnès Michaux furète dans la vie de ce dandy décadent.

Elle cherche dans l'œuvre de Huysmans ce qui justement peut la rendre vivante, y compris les mauvais penchants de l'auteur, ses relations houleuses avec les femmes. En fait, le vivant, c'est le style, c'est celui qu'elle donne à cette biographie fouillée. Huysmans et sa famille, Huysmans et les femmes, Huysmans et son diable, Huysmans et l'antisémitisme, Huysmans et son Dieu. Il est toujours dans la posture, dans l'excès, dans le « je vais vous montrer que ». Il travaille sa prose comme un orfèvre mais il a trop le nez dessus, à la différence d'un Léon Bloy qui envoie tout valdinguer. Huysmans est précieux et précis, d'où ses inventions langagières. Agnès Michaux brosse tout cela comme une toile de Pollock, à coups de grandes giclées colorées. Ça sent la peinture fraîche et on en redemande, tant les ouvrages sur les auteurs du xix^e siècle sentent trop souvent le renfermé. Avec elle, Huysmans sort de ses murs humides et glauques. Il prend l'air, il respire. Elle trouve même dans ses livres de quoi s'enivrer, avec toute une époque en toile de fond, pour ne jamais oublier qu'un auteur sort autant de lui-même que de son temps. Alors oui, vivant sans aucun doute, autour de Zola, Flaubert et des autres. À signaler qu'Agnès Michaux propose une bande-son pour accompagner ce Huysmans décapé et décapant. On y trouve Never Mind the Bollocks des Sex Pistols. Le parallèle entre Johnny Rotten et des Esseintes n'est pas si mal vu... Et Huysmans en punk catho qui finit président de l'académie Goncourt non plus. Elle livre ainsi le roman baroque d'un arriviste qui arriva, mais pas forcément là où il voulait aller, un peu plus loin, à l'avant-garde des névroses fin de siècle.