Dans l’hypothèse où certains d’entre vous ignoreraient comment fonctionne notre système pénal, il convient de les rassurer. Un jour, peut-être bien plus tôt qu’on ne le pense, chacun pourra suivre en direct, sur son réseau social préféré, non seulement les audiences correctionnelles ou de la cour d’assises, mais aussi les mises en examen et les débats contradictoires en vue d’un placement en détention, ou encore les interrogatoires et confrontations menés par un juge d’instruction.
Comme le secret n’est plus et qu’il faut bien sacrifier à l’obligation de transparence, le Parquet lui aussi sort du bois. Un procureur, dans le temps, nul ne savait à quoi il pouvait bien ressembler. C’était virtuel, mythique presque. Quand Simenon évoquait dans ses Maigret le Parquet qui se déplaçait sur les lieux du crime, cela donnait libre cours à l’imagination, on ne savait pas trop ce que c’était mais ça avait l’air méchant, rigide, un peu bête parfois.
À présent, il ne se passe pas une semaine sans qu’on en aperçoive un ou deux échantillons, pour venir nous expliquer, devant les micros et les caméras qui n’en demandaient pas tant, comment l’affaire s’est déroulée, quelles sont les charges qui pèsent sur le présumé coupable, comme disent les journalistes, comment il a été arrêté et quels sont ses moyens de défense. Il y a une quarantaine d’années, on punissait les magistrats qui ouvraient leur cabinet à un journaliste pour leur expliquer le travail d’un juge d’instruction. Maintenant, on leur donne des cours de communication à l’école de la magistrature.
On aura perçu le scepticisme : autant quand il s’agit d’un attentat terroriste, entendre un procureur raconter l’horreur, froidement mais avec minutie, a pour effet de nous rassurer, donnant une image humaine à la barbarie afin de mieux pouvoir l’affronter, autant on se passerait bien des conférences de presse dans les crimes plus ordinaires qui touchent parfois au voyeurisme – quand elles ne renseignent pas le criminel en fuite sur ce que les enquêteurs savent de son lieu de refuge.
Le procureur n’est pas impartial puisqu’il représente l’État
Le rôle d’un procureur est de diriger les enquêtes, d’où les interrogations sur le bien-fondé des conférences de presse, mais il est surtout d’orienter une plainte ou une infraction : classement sans suite, rappel à la loi, citation devant le tribunal ou alors ouverture d’une information, c’est lui qui décide, lui qui a la lourde charge de ce qu’on appelle l’opportunité des poursuites. Au pénal, le patron, c’est donc lui, sauf… Sauf qu’il est soumis à une hiérarchie, envers le parquet de la cour d’appel, et en dernier lieu le garde des Sceaux.
Contrairement aux juges du siège dont l’indépendance est garantie, en particulier par l’inamovibilité, il n’est pas impartial puisqu’il représente l’État. Donner les pleins pouvoirs à ce magistrat dépendant pose problème. Cette contradiction a valu à la France plusieurs condamnations par les juridictions européennes, puisque laissant penser que c’est le pouvoir politique qui, en réalité, décide. Même si les ministres ne donnent plus, paraît-il, aucune instruction dans les dossiers individuels, on soupçonne parfois leur intervention dans les dossiers concernant leurs amis.
D’où la réforme du statut du Parquet que certains réclament en vain depuis plusieurs années. En 2017, le nouveau président de la République avait promis d’unifier les conditions de nomination des magistrats du Parquet et des juges du siège, afin que le Conseil Supérieur de la Magistrature ait le dernier mot pour tous. Cela aurait été une première étape vers la fin de la suspicion. Mais cette réforme constitutionnelle, relativement simple à faire passer, n’a jamais été mise en œuvre et ne semble plus à l’ordre du jour. Mais nul doute qu’un procureur viendra nous expliquer bientôt pourquoi il n’a pas changé.