Entretien

Olivier Adam : "Je n’en pouvais plus de moi"

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Olivier Adam : "Je n’en pouvais plus de moi"

A 40 ans, Olivier Adam a désormais onze livres derrière lui. C’est une valeur cotée qui devrait gérer la pression du succès avec la souplesse et l’assurance d’un vieux routier des meilleures ventes. L’homme reste pourtant un inquiet, pris entre deux feux, en retrait et dans l’arène. Après l’autoanalyse esquissée dans Les lisières, il revient au romanesque avec Peine perdue et ses 22 personnages.

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Par Anne-Laure Walter, Véronique Rossignol
Créé le 27.06.2014 à 03h06 ,
Mis à jour le 27.06.2014 à 10h53

Je ne fais jamais de plan, je ne prends jamais de notes. Même Je vais bien, ne t’en fais pas, qui a en apparence une architecture scénaristique assez huilée, je l’ai écrit au fil, sans connaître à l’avance le dénouement. Pour Peine perdue, je suis parti avec les trois premiers chapitres et les personnages seulement caractérisés par un prénom, un métier, un fait. Multiplier les personnages devait avoir un sens, ne pas être juste un exercice. Je suis gêné en ce moment par tous ces débats sur la notion d’identité : je voulais acter en livre ce que cela peut vouloir dire pour un romancier de faire ce choix non pas d’un seul personnage avatar, mais d’être présent dans vingt-trois. Car tous puisent en moi, disent des choses de moi. Ils sont tous des masques que je prends. D’ailleurs, au fond, ce livre est étrangement plus personnel et intime que Les lisières qui passait toute la société au tamis d’une notion, celle des lisières. Ici, je peux être par exemple le type qui lit des romans américains et se fait chambrer par les autres. Je peux avoir tel discours sur la société française et en même temps être celui qui connaît André Manoukian de la "Nouvelle star"… C’est une façon de dire à travers ces personnages l’incroyable volatilité, volubilité de nos identités.

"Peine perdue" : 22 personnages désemparés

On dirait le Sud. C’est un endroit qui ressemble à la Lousiane, à l’Italie… Sur la carte, le décor a l’air hospitalier. Fausse promesse du paysage. Si Olivier Adam a quitté les rivages tempétueux du nord-ouest de la France et les falaises du Japon, la Côte d’Azur hors saison, théâtre de Peine perdue, n’est pas une Riviera de bougainvilliers et de lauriers-roses. Mais un Var de camping et de restaurant de plage désertés qui ressemble plutôt à une Californie du pauvre. Le soleil ne réchauffe rien. Même la placide Méditerranée peut se révéler violente sous l’effet d’un dramatique coup de vent.

Entre Short cuts et La misère du monde (Carver et Bourdieu, deux idoles avouées de l’auteur), Olivier Adam chorégraphie un roman noir en forme de danse de groupe qui isole et lie les solos de 21 personnages autour d’Antoine qui ouvre et ferme le récit. "Inflammable" et plein de nuit, sanguin dépressif, c’est une figure virile familière des livres d’Olivier Adam, de ces hommes en qui souffrent encore le petit garçon blessé, l’adolescent dont il ne reste de la sève vitale qu’une colère chaotique, à la fois compagnon délaissé, père frustré, frère manquant, ami faillible : une famille d’hommes sur le banc de touche, mis hors jeu. Antoine, la trentaine passée, ancien mécanicien viré par son patron, quitté par la mère de son fils, contraint de repeindre des caravanes dans le camping du louche Perez, est en mauvaise posture. Alors que l’équipe de foot amateur locale s’apprête à jouer à Nantes la demi-finale de la Coupe de France, cet ancien espoir vient d’être privé de match pour avoir cassé le nez d’un adversaire. A son tour agressé, le voilà à l’hôpital, dans le coma, salement amoché. Par qui ? Pourquoi ? C’est l’un des fils possibles, celui du polar, même si ce qui occupe le romancier est, ici encore, de mettre dans la lumière, dans une double dimension psychologique et sociologique, ces relégués de la grande compétition, pour qui les choses sont "irrattrapables". Et quant à ceux qui semblent s’en être mieux tirés (Laure, l’interne de l’hôpital, Anouck, l’écrivaine retirée, Eric le coach, le vieux couple de retraités…), ils sont eux aussi lestés de peines sans remise, impossibles à mutualiser.

Pour tresser ces liens sur fond de solitude, de défaites aussi sociales que sentimentales, Olivier Adam a fragmenté son récit, renouant en partie avec la forme de son premier, unique et mémorable recueil de nouvelles, Passer l’hiver. C’est écrit plus à l’os, plus compact, plus percutant. Et l’empathie inaltérée de l’écrivain pour ses personnages, qui explique la ferveur fidèle de ses nombreux lecteurs, devrait une nouvelle fois toucher au cœur. Véronique Rossignol

Peine perdue, Olivier Adam, Flammarion, 416 p., 21,50 euros, ISBN : 978-2-08-131421-4, parution le 20 août.


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