Qu'avez-vous vécu de plus incroyable au cours de l'aventure qu'a été votre premier roman ?
D'abord le travail d'équipe éditorial avec une bande de filles, qui a réussi à me faire croire que j'étais capable d'aller au bout de cette histoire. Ces « accoucheuses » m'ont donné confiance en moi. J'en suis ressortie regonflée à bloc. Le succès a toutefois été amputé par le Covid. Mais malgré l'annulation des salons, j'ai reçu de formidables témoignages d'émotions. Les lecteurs me parlaient de leurs ancêtres, de leurs secrets de famille ou de la nécessité de fuir l'excision. Bouleversants, des Polonais, des Syriens, des Africains se sont sentis compris dans ce roman. Savoir que des filles, des femmes ou des grands-mères se le passaient, de génération en génération, a été mon plus beau cadeau.
Qu'en est-il de votre rencontre avec les libraires ou les bibliothécaires ?
Ils m'ont redonné confiance dans la passion qui nous anime. Quand j'étais jeune, j'aimais aller chez un disquaire. Il connaissait mes goûts et mes envies, or ce lien s'est perdu car la musique s'est dématérialisée. On retrouve cette liberté chez les libraires et les bibliothécaires. Ils nous transmettent le goût des mots, de la langue et des histoires.
Carmen, l'héroïne de votre nouveau roman Écoute la pluie tomber, découvre la lecture en prison. De quoi la littérature vous libère-t-elle ?
La culture nous permet de nous sentir moins seul. Grâce à elle, quelque chose prend vie par le rêve. Un livre nous apaise ou suscite une réflexion. À la maison, il y en avait peu, si ce n'est des essentiels comme Pagnol ou Shakespeare, des bandes dessinées et des biographies sur les idoles de mon père, Johnny et Yves Montand. Mes parents travaillaient tellement dans leur café qu'ils n'avaient pas le temps de lire. Le fait que je prenne la plume a changé la donne.
L'écriture est-elle votre exutoire ?
L'écriture étant encore neuve, j'ignore si elle me grandit. C'est dur de m'y confronter car je suis empêtrée dans l'autojugement, mais cette bataille avec moi-même ne me fera pas sombrer (rires). Certaines choses doivent encore se déverrouiller.
Que renferme « le temple de vos souvenirs » d'enfance ?
Digne de Carmen, j'étais une ado extrême qui se cherchait dans la provocation et l'insatisfaction. Je suis d'ailleurs encore en résilience... Impossible de trouver la source de ma colère. Il pourrait s'agir d'une tristesse intérieure, mais il m'est difficile de mettre des mots là-dessus. On désire tous sauver les gens qu'on aime de leurs démons, or comme ce n'est pas réalisable, je tente de le faire avec mes héroïnes. Mes parents en ont bavé avec moi, mais ces amoureux de la musique se sont saignés pour m'offrir des cours de piano ou de danse. Ils ne m'ont jamais freinée dans mon élan.
Qui vous a « préparé à la vraie vie » ?
Cette phrase est de Carmen car elle réalise tardivement qu'elle n'existe pas, si ce n'est dans le regard d'autrui ou dans la colère envers ses sœurs. Elle semble perdue entre des envies trop grandes, un besoin d'émancipation et l'angoisse de quitter son cocon familial. Tout comme ma protagoniste, j'ai grandi dans le café de mes parents, entre ma naissance et mes 12 ans. Ce mini théâtre du monde était la meilleure école de la vie. J'étais aux premières loges pour absorber les secrets, les joies, les bagarres ou la détresse des gens. Cela m'a donné l'amour des âmes perdues... Mon instinct et ma plume me mènent toujours vers la chute. Peut-être parce que j'éprouve une grande tendresse pour les résilients, qui tiennent debout après le cataclysme. N'ayant pas eu à vivre cela, je suis fascinée par ceux qui parviennent à dépasser ou à faire dévier leur destin.
Pourquoi de nouveau mêler étroitement la grande Histoire et une lignée de femmes ?
Parce que c'est là que les choses se jouent. Mes romans déroulent le fil de cette bobine historique, puisque celle-ci a conditionné le développement psychologique et les histoires que mes héroïnes se racontent. Les femmes ont un regard de biais sur la société. Elles sont plus libres de dire les choses. Pas de doute, les femmes sont les gardiennes du courage ! Mes livres se déroulent à la lisière entre deux pays voisins, l'Espagne et la France, incarnant mes racines. L'actualité nous démontre hélas, de façon palpable, que la dictature espagnole entre en résonance avec une histoire qui nous dépasse. Je n'aurais pas situé mes écrits dans la dictature si je n'avais pas noté à quel point les atrocités se répètent, en Ukraine ou ailleurs.
Vous sentez-vous l'héritière de résistants républicains ?
J'ignore si ma famille a résisté. Je suis plutôt l'héritière d'un tempérament de battantes. Mon spectacle « Bouches cousues » rend justement hommage à l'exil de mes grands-parents, fuyant le franquisme. Il y a une telle poésie dans cette histoire culturelle et générationnelle. Ces origines espagnoles se retrouvent dans ma franchise, mon côté brut et cette sensibilité à feu et à sang. Flaubert disait « ce qui érafle les autres me déchire ». Cette écorchée vive cherche encore son refuge. Mon côté espagnol se traduit cependant aussi par la cuisine, l'excès d'ail, la danse ou les relations passionnelles !
Est-ce un roman sur la trahison et la fidélité ?
Bien sûr, et cela comprend une connaissance ou une méconnaissance de soi. Comment rester en vie ? Carmen trouve sa force de survie dans l'amour. Moi aussi, je suis une femme chérissant autant mon indépendance que les bras de l'homme qui m'entourent.
Pourquoi est-ce important « d'alléger le bagage que l'on cédera aux générations suivantes » ?
Vivement que l'écriture puisse y contribuer, parce que le secret est une gangrène. Je prône un assassinat du silence ! Telle est ma philosophie de vie. Plus tu sais qui tu es, d'où tu viens et qui t'a fait, plus tu auras des pieds pour te construire.
Votre héroïne « en connaît un rayon sur l'obscurité » dites-vous. Comment faites-vous surgir la lumière ?
Je fais tout pour que mes personnages parviennent à changer leur destinée. Chanceuse que je suis, je n'ai pas eu - contrairement à eux - à payer le prix de ma liberté personnelle et professionnelle. J'ai beau chausser du 36,5, mes rêves font du 48 [rires]. À savoir : faire un album avec Björk ou PJ Harvey, tourner avec les frères Coen, voir mes romans adaptés par Pedro Almodóvar et faire le tour du monde avec mon fils, Nino. Lorsque j'entends les pas de ce « pt'it machin » le matin, il y a de la lumière partout dans ma vie.
Écoute la pluie tomber
JC Lattès
Tirage: 120 000 EX.
Prix: 19,90 € ; 198 p.
ISBN: 9782709670081