Il n'est pas rare que le sujet originel d'un livre se déplace au cours de l'écriture. Et dans ces plis-là, dans ces glissements inconscients vers d'autres choses, vers des ailleurs, surgissent des obsessions.
Dans son nouveau roman, Olivia Rosenthal compose une enquête autour des cinq attentats qui ont eu lieu dans le métro de Tokyo en 1995. Des membres de la secte Aum avaient tué treize personnes et blessé plus de cinq mille autres avec du gaz sarin, une arme invisible et toxique. L'écrivaine investit le cadre d'une société japonaise polie, calme, où tous semblent avoir oublié ce qu'il s'est passé ce jour de mars 1995. La notion d'attentat, telle qu'on l'entend en Europe, chargée d'une dimension intentionnelle liée à la terreur, est intraduisible en japonais, où l'on préfère parler d'« incident ». Renoncer à l'individu, taire ce qui ne correspond pas à la norme ou provoque trop d'intensités, semblent être le propre de la culture japonaise.
Un singe à ma fenêtre épouse la tendance barthésienne des écritures contemporaines. Entre essai et roman, Olivia Rosenthal déroule un fil narratif fictionnel à partir de faits réels et de témoignages. L'auteure se met en scène, avec son roman, dès la présentation de son projet devant le jury de sa résidence d'écriture. Alors qu'elle vit dans un Paris encore marqué par ses propres attentats, elle associe l'exploration de ceux de Tokyo à la nécessité de saisir une distance géographique et temporelle avec son sujet. En embrassant le passé d'un autre territoire, peut-on espérer s'échapper de son présent ? Et si c'était cela, renoncer à soi, ne plus parvenir à nommer les choses qui nous entourent et trouver des échos dans une histoire lointaine ? Sauf que ces angoisses profondes sont parfois inscrites à des endroits que l'on ne soupçonne pas. Et la révélation de traumatismes jusque-là invisibles, de lésions à peine perceptibles, creuse les rigoles d'un mal qui circule continuellement, entre mémoire et oubli. Au fil des témoignages qu'elle recueille pour son projet d'écriture, la narratrice déterre ses propres souvenirs, ses propres morts. À travers les voix habituellement inaudibles de témoins qu'on réveille, le texte dévoile progressivement celle d'une narratrice rattrapée par son histoire, et l'échec de sa tentative de fuite. « Je suis née après la guerre et j'ai pensé que la vie allait être très paisible mais je me suis trompée. »
Un singe à ma fenêtre
Verticales
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 17 € ; 176 p.
ISBN: 9782072988783