La découverte littéraire la plus réjouissante de la précédente rentrée étrangère était probablement celle d'un écrivain juif anglais à l'oeuvre copieuse, mais curieusement jamais traduite auparavant. Avec La question Finkler (Calmann-Lévy, 2011), qui lui avait valu le Man Booker Prize en 2010, les lecteurs français plongeaient dans l'univers à la fois drôle et tragique d'Howard Jacobson. Le revoici avec le tout aussi impressionnant Kalooki nights, opus antérieur datant de 2006.
Maxie Glickman est un juif anglais. Dessinateur hétérosexuel, il a parfois gagné sa vie en reproduisant des pages de Tom of Finland pour le compte d'un éditeur "pirate et sans vergogne". Le héros de Jacobson a grandi dans les années 1950 à Crumpsall Park, au nord de Manchester, la ville natale de l'écrivain. Celui qui s'affirme juif "à chaque putain de minute" a eu un père, Jack, ancien champion de boxe. Nora, sa mère, avait une passion pour le kalooki : une version du rami à laquelle elle jouait inlassablement avec ses amies au salon.
Le jeune Maxie traînait avec ses copains Manny Washinsky et Errol Tobias. Le premier était un juif orthodoxe plutôt bizarre, le second était à la fois le caïd de la rue et le jardinier du quartier. C'est grâce à eux et à un ouvrage de Lord Russell de Liverpool intitulé Sous le signe de la croix gammée qu'il eut connaissance de la solution finale et des horreurs de la Shoah, de l'existence d'Hitler et de l'extermination des juifs.
Notre narrateur remonte le cours sinueux de son existence. Il raconte son dépucelage avec Fillie Guttmacher, "une super juive avec des épaules de lutteur, une lèvre supérieure velue et des yeux de Cléopâtre", qui lui a refilé "la chtouille". Son premier mariage avec Chloë, "une goy blonde et Ubermädchen » qui lui avait dit ne pas aimer les juifs et faire pénitence en le fréquentant. Son deuxième mariage avec Zoë, autre goy blonde qui se révélera une "femme qui n'était qu'absence d'humour"... Howard Jacobson a du souffle et de la densité. Une manière unique de s'interroger sur ce que l'on doit savoir et ce que l'on peut montrer sur la mémoire juive. Kalooki nights bénéficie qui plus est d'un héros inoubliable. L'impayable Maxie Glickman, spécialiste de l'hyperbole dans sa famille, qui n'a pas fait sa bar-mitsva. Un type pratiquant un métier où l'on aime "les fils rouges" et les "leitmotivs". Ceux de Jacobson, eux, arrivent à être hilarants et tragiques.