24 avril > Histoire littéraire France

"Nous étions, un peu, son père", écrit, effondré, Paul Morand à Jacques Chardonne, le 30 septembre 1962. Deux jours auparavant, le brillant Roger Nimier, journaliste, écrivain, éditeur chez Gallimard, se tuait au volant de son Aston Martin, sur l’autoroute de l’Ouest, en compagnie de la romancière Sunsiaré de Larcône. Il allait sur ses 37 ans. Quelques méchantes langues parlèrent de suicide. Il est vrai que le chef de file des "hussards" avait nombre de soucis personnels, mais il s’apprêtait à marquer son grand retour au roman, avec D’Artagnan amoureux, qui paraîtra posthume. Pour Morand et Chardonne, que Robert Kanters, dans L’Express, qualifiera, à leur plus grande fureur, de "vieillards édentés ", outre leur compassion pour leur "fils", qui avait "le malheur en lui" (Chardonne, prophétique, le 24 septembre, ce à quoi Morand fait écho : "Il portait en soi un malheur intérieur, organique…"), c’est la fin d’un monde : chacun d’entre eux, Nimier mort, s’enfonce dans la solitude - Chardonne, surtout, "le Solitaire" selon Nimier -, et s’approche de la mort.

Entre les trois écrivains, en dépit de la différence de génération, s’était nouée une relation amicale triangulaire, dont portent trace leurs correspondances. Celle entre Chardonne et Nimier, 1950-1962, était parue en 1984. Voici que paraissent en même temps celle entre Morand et Nimier, 1950-1962, et le deuxième volume de celle entre Morand et Chardonne, 1961-1963, le premier volume, 1949-1960, ayant été publié en 2013.

Entre les deux amis de longue date, il s’agit d’une correspondance littéraire, très écrite et prévue, un jour, pour la publication, même s’ils s’y expriment en toute sincérité, étrillant sévèrement les uns et les autres, et s’abandonnant à leurs vieux démons : antisémitisme, homophobie, nostalgies pétainistes… Entre Nimier et Morand, en revanche, c’est un échange d’une extrême vivacité, presque au débotté, qui s’instaure progressivement, où il est question de restaurants, de vins, de voitures, de rugby, avec pas mal de blagues potaches. De business, aussi : entré chez Gallimard en décembre 1956, Roger avait pris en main de rassembler toute l’œuvre de Paul rue Sébastien-Bottin, et d’y ajouter des inédits. "Qui eût dit que nous échangerions un jour des lettres d’affaires ?" écrit Morand à Nimier, non sans humour, en février 1957. Et, le mois suivant : "Je n’aime pas vivre loin de vous, mon fils." Il le pleurerait encore durant quatorze ans. J.-C. P.


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