« La roche Tarpéienne est proche du Capitole », disaient déjà nos ancêtres les Romains. La plus célèbre illustration de cette maxime est sans doute le sort tragique de Nicolas Fouquet (1615-1680 ?), poursuivi par la jalousie de Colbert et la vindicte de Louis XIV. Le surintendant passa, du jour au lendemain ou presque, de son somptueux palais de Vaux-le-Vicomte à la prison de Pignerol, où il fut reclus durant près de vingt ans. Il y est mort, on ne sait même pas vraiment quand. L'épisode est connu, et a abondamment nourri l'imagination des romanciers et des cinéastes. Or, toutes proportions gardées, l'affaire Vedeau de Grandmont, qui se situe plutôt à la fin du règne du Roi-Soleil, n'a pas grand-chose à lui envier. Elle a même fourni à La Bruyère un passage de ses Caractères (« De la société et de la conversation », 47). Dans le texte d'origine, en 1688, il désigne les deux adversaires par leurs initiales, G. et H. Puis, dans l'édition de 1731, les protagonistes étant morts et leur histoire connue du Tout-Versailles, leurs noms sont dévoilés : Grandmont, donc, et son ennemi juré Charles Hervé.
François Vedeau de Grandmont (1641-1718) était un petit noble de robe dont le père, richissime, avait acheté une charge au Parlement. Il avait épousé Anne-Claude Genoud, fille d'un ancien frondeur, non moins opulent. Ils ont eu une ribambelle d'enfants, dont nombre ont vécu, ce qui était rare à l'époque. Six garçons, en particulier. En 1679, lors du baptême de leur fils Louis, 7 ans, qui entrera tout de suite dans l'ordre de Malte, c'est le Grand Dauphin qui était son parrain. C'est dire. Tout ce petit monde menait grand train à Paris dans son hôtel tout près du palais du Luxembourg, et dans son château de Saint-Lubin-des-Joncherets, dans le Thymerais, entre la Beauce et le Perche, le long de l'Avre. Le château existe toujours aujourd'hui. Or, Vedeau ayant accru son domaine, certains de ses gens s'en sont allés jeter des filets de pêche le long de la rivière, chez les Sallé, fille et gendre de Charles Hervé, un puissant parlementaire.
Et aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est ce tout petit fait qui va engendrer, dès 1679, discorde, scandales, bagarres, procédures judiciaires, procès, condamnations à la mort civile − par contumace, du père et de ses deux aînés −, ruine de la famille − même si Louis XIV fera grâce aux deux enfants restants en 1697 et leur rendra une partie de leur héritage − et, surtout, bannissement à vie et emprisonnement du pauvre Vedeau dans la prison royale de Pierre-Encize, ou Pierre-Scize, « une Bastille lyonnaise ». Il y est demeuré vingt-cinq ans, plutôt pas trop mal traité, mais ne put jamais recouvrer sa liberté. On ignore pourquoi. Contrairement à Fouquet, il ne présentait aucun danger pour Louis XIV. Et même après la mort du monarque, en 1715, il ne fut pas libéré.
Le mystère demeure, en dépit de l'enquête fouillée, minutieuse et passionnante menée par Nicolas Buat. Celui-ci est archiviste paléographe, directeur des études à l'École nationale des chartes. Pas romancier. Maintenant, il en faudrait un, un Rufin, un Camille Pascal, qui s'empare de cette rocambolesque affaire et en tire une grande fiction.
Catastrophe de M. Vedeau de Grandmont. Enquête sur une ténébreuse affaire du Grand Siècle
Les Belles lettres
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 23 € ; 352 p.
ISBN: 9782251453323