Drôle d’ambiance pour la conférence inaugurale du festival Atlantide, qui s’est tenu à Nantes du 6 au 9 mars. Dans la grande salle comble du Lieu Unique, entre murmures du public lâchant des « oh la vache » et applaudissements émus, Adèle Spieser, directrice du pôle régional de coopération des actrices et acteurs du livre et de la lecture (Mobilis), a relaté les difficultés que traversent ces professionnels. Cet été, tous les employés de son association seront licenciés. Comme ceux du Pôle arts visuels des Pays de la Loire.

Licenciements
Une décision qui fait suite aux annonces tombées fin décembre : la Région prévoit 82 millions d’euros d’économie en 2025 alors même que l’État ne lui en demandait que 40 millions. Le budget alloué au fonctionnement de la culture accuse une baisse de 62 %.
Ainsi Mobilis, dont « 75 % du budget de fonctionnement dépendent de la Région », a vu ses subventions divisées par deux pour 2025. Celles-ci seront supprimées en 2026. Pour l’Alip (association de libraires) et Colibris, la coupe a été directe et totale. « D’autres structures du livre travaillent actuellement sur des plans de licenciement, nous glisse Adèle Spieser. Et par ricochet, les artistes-auteurs commencent à percevoir une baisse de leur activité, à quoi s’ajoute la réforme du pass Culture ».
Humeur combative
Mais pas question de se laisser abattre. L’ambiance était festive, studieuse, et combative, suivant les mots de Nancy Huston : « Ce n’est pas parce que la littérature ne sauvera pas le monde qu’elle ne vaut pas la peine de s’engager », clame-t-elle. L'écrivaine franco-canadienne est venue présenter la fiction politique Francia (Actes Sud), dressant les portraits d’une prostituée transgenre et de ses clients, pour disséquer les mécanismes de la domination.
Le vendredi après-midi, le public faisait la queue et a rempli les trois salles de conférence. Côté librairie, les ventes augmentent édition après édition à l'instar de celles de l'écrivaine Justine Augier, entendue plus tôt dans une table ronde sur les ravages du capitalisme, signale Faustine Benoît, de la librairie La Géothèque. Membre de l’association des librairies complices qui se partagent l’espace de vente du festival, elle nous indique être présente moins pour faire du bénéfice que pour être visible.

Effets indirects
Elle aussi pâtit des coupes régionales, de manière directe au niveau de l'accueil d’auteurs en librairie, tandis que des effets indirects sont également perceptibles : « Des associations vont moins nous solliciter pour tenir des stands et les aider à inviter des auteurs… C'est pourtant ce que le public vient chercher : découvrir des personnalités dans des lieux de vie. Je pense que cette baisse de l'activité se fera surtout ressentir l'année prochaine », poursuit Faustine Benoît.
« On ne voit pas encore les énormes effets collatéraux négatifs que ces coupes vont avoir », abonde l’éditeur de l’œil ébloui, Thierry Bodin-Hullin, qui fait « acte de présence par soutien aux événements culturels, dans un moment où ils sont mis à mal par le Conseil régional ».
Sa demande d’aide régionale pour participer au Festival du Livre de Paris a été rejetée. « Je vais faire un salon à perte, mais il faut que j’y sois », revendique-t-il, se remémorant l'époque où les Pays de la Loire invitaient des éditeurs sur leur stand et réglaient le transport de leurs ouvrages !
La Région lui avait octroyé une aide pour accompagner le lancement de la collection Perec 53. Privilège ? Certainement pas, défend l'éditeur, qui précise : « Cette aide ne va pas dans notre poche : un projet de ce type crée toute une petite économie ».
Alternatives
Comme celle d'un festival de la taille d’Atlantide qui recense plus de 50 auteurs invités de 20 nationalités différentes. Le 20 décembre, la Région annonçait le priver de ses subventions, représentant 15 % du budget dédié à la programmation. Avertis trop tard, les organisateurs n'ont pas pu annuler les venues d’auteurs — sauf quand l’invitation n’était pas finalisée.
Alors comment se financer ? En prenant sur les fonds du Lieu Unique (LU) et de la Cité des Congrès, coproducteurs de l’événement. « On a creusé notre déficit », traduit Axelle Roze, de la Cité des Congrès. « Sachant que le LU voit ses dotations baisser, ainsi que celles des partenaires, eux aussi touchés », complète le directeur des lieux Eli Commins.

Indépendance et ADN en question
Autre piste : le recours à davantage de micro-financements même si cela oblige à dépenser beaucoup d’énergie en ressources humaines. Et renforce la dépendance aux mécènes privés « qui peuvent nous intimer d’inviter tel auteur, ou d’annuler l’invitation d’un autre », grincent les organisateurs, citant le cas d’une autrice qui a déploré les massacres de la guerre israélo-palestinienne sur Instagram. Le post a déplu à un sponsor du festival… à qui les organisateurs ont dû donner raison, en annulant la venue de l’artiste. « Les subventions publiques garantissent notre indépendance éditoriale », défend Eli Commins. Restent les aides de la ville de Nantes, du département, du Centre national du livre ou encore de la Sofia.
Réduire les frais pour l’année prochaine fait aussi partie des pistes de réflexion. Au risque de toucher à l’ADN d’Atlantide qui a l'habitude d'inviter des auteurs internationaux, épaulés de traducteurs-interprètes rémunérés.
Les organisateurs pourraient aussi mettre fin à la gratuité d'Atlantide. « Mais ce serait la dernière décision qu’on prendrait, cela nous couperait d’un public », balaie Axelle Roze. Pas sûr que les billets se vendraient si l’événement (mêlant têtes d’affiches et auteurs confidentiels sur la même scène) n’est pas gratuit. Et puis, la billetterie demande une certaine logistique. « C’est un coût de faire payer », reprend la programmatrice, qui conclut : « On est encore sous l’effet de la sidération. Mais après cette édition, on se posera pour faire un bilan et décider la suite ». Avec en ligne de mire, le festival des Utopiales de novembre.