Avant-critique Poésie

Mosab Abu Toha, " Ce que vous trouverez caché dans mon oreille" (Julliard)

Mosab Abu Toha - Photo © DR/Julliard

Mosab Abu Toha, " Ce que vous trouverez caché dans mon oreille" (Julliard)

Dans ses poèmes saisissants, Mosab Abu Toha témoigne de la violence du quotidien à Gaza, entre les bombes et la peur.

Parution 3 octobre

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Par Marie Fouquet
Créé le 27.09.2024 à 14h00

Respirer est une épreuve. « Raconter mon histoire à quelqu'un, c'est comme dire de la poésie. » Né en 1992 dans le camp de réfugiés Al-Shati dans la bande de Gaza, le poète, universitaire et bibliothécaire palestinien Mosab Abu Toha compose à partir de son expérience vécue de la guerre. Il n'a pas connu autre chose. « À Gaza, respirer est une épreuve, sourire : une opération de chirurgie esthétique qui déforme nos visages. Se lever le matin, c'est tenter de survivre un jour de plus, c'est revenir d'entre les morts. »

Dans l'entretien mené par le poète et critique américain Ammiel Alcalay en 2021 qui clôt le recueil, l'auteur décrit le processus d'écriture de ses poèmes. « Il faut exceller à exposer ses sentiments sur le papier : exprimer aux autres votre poésie afin qu'ils puissent être en communion avec vous. » C'est effectivement ce que Mosab Abu Toha parvient à faire. Lorsqu'il juxtapose, simplement en les décrivant, des scènes de la vie quotidienne et des scènes de la guerre, le sang se glace. « Un jour, des gens ont pêché sur la plage de Gaza, ils ont reçu un déluge d'obus, Houda Ghalia a perdu son père, sa belle-mère et ses cinq frères et sœurs, c'était en juin 2006. » Le surgissement des souvenirs de proches perdus est effroyable : « Avant d'aller à l'école, mon père nous préparait du lait avec des biscuits. J'étais en CE2, ma mère était à l'hôpital pour s'occuper de mon frère. Mon frère est mort en 2016. » L'anéantissement de soi-même est palpable à travers les mots du poète : « Je suis, mais je ne suis plus présent, je suis brisé. »

Ce qui frappe aussi à la lecture de ces textes, ce sont les traits d'ironie et d'humour qui se dégagent de certaines phrases, de certains mots, de certaines visions, de certains souvenirs. « Un clou, en général, sert à assembler deux morceaux de bois ou à accrocher des objets au mur. En 2009, les Israéliens ont lancé une bombe à clous sur une ambulance près de chez moi. » Ou encore : « L'horloge n'a pas été blessée dans cette attaque. » Dans quelques-unes des pages, il insère des photographies. Ainsi une bouteille de gaz explosée, avec pour commentaire : « Je voulais faire du thé pour nos invités, mais l'intrus venu de Porlock a gâché la fête » ; ou encore, un tas de fraises dans une assiette : « Et pourtant, les fraises n'ont jamais cessé de pousser. » Ce recueil est aussi le témoignage d'un quotidien passé sous les bombes, dans la peur, parmi les survivants et les morts − les presque morts, les déjà morts. Le poète précise : « Ne nous réduisez pas à des nombres. »

En novembre 2023, Mosab Abu Toha a été arrêté, détenu et battu par l'armée israélienne alors qu'il tentait de sortir de Gaza avec sa famille. L'émoi médiatisé qu'a suscité cette arrestation a permis de le libérer. « Qui ne dit mot consent, dit le proverbe, mais si l'on m'interdit de parler, si ma langue est coupée, si ma bouche est cousue ? »

Mosab Abu Toha
Ce que vous trouverez caché dans mon oreille
Julliard
Traduit de l’arabe par Ève de Dampierre-Noiray
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 20 € ; 192 p.
ISBN: 9782260056485

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