avant-portrait

Vienne, par une soirée d’été indien. Au jardin du Prater, sous les glycines de la brasserie Schweizerhaus, les habitués, abandonnés à la douceur des choses, lèvent un instant les yeux de leurs Stelzen (jarrets de porc grillés), de leur Kartoffelpuffer (galettes de pommes de terre) ou de leurs bières. Certains peut-être reconnaissent dans le très bel homme qui passe entre les tables, avec un air de s’excuser pour son double mètre, un des interprètes de la série médicale Ein starkes Team (entre Urgences et Konsalik, si l’on a bien compris…), d’autres, plus au fait de l’actualité littéraire, le "it boy" de la littérature germanophone, Robert Seethaler, dont le cinquième roman, Une vie entière, à peine paru en Allemagne, bat des records de vente.

Le fardeau d’être acteur

Pour l’instant, c’est par son quatrième, plus confidentiel (100 000 exemplaires tout de même), Le tabac Tresniek, que les lecteurs français s’apprêtent à le découvrir. L’histoire d’un jeune homme qui débute dans la vie à l’heure du crépuscule du monde et des empires. Dans la Vienne des années 1930, Franz, venu de ses montagnes, trouve un emploi chez un marchand de tabac et de journaux, Otto Tresniek, qui a perdu ses jambes à la guerre et en a conservé une solide misanthropie. Parmi les clients de la boutique, un vieux docteur fatigué qui ne voit que trop bien venir le temps des assassins, Sigmund Freud. Franz tombera amoureux (d’Anezka, une gamine venue de Bohême, un peu artiste, un peu putain), Freud et Tresniek, chacun à sa façon, l’aideront à écrire son "roman de formation". Et le temps passe comme ça, sur fond d’exil, de montée des périls, jusqu’à la nuit.

Dans le café, viennois où Robert Seethaler a choisi de répondre aux questions des journalistes français venus à sa rencontre, un étrange et doux malaise semble de mise. L’homme est moins secret que protégé. A 48 ans, il n’a pas été acteur pendant un quart de siècle pour, enfin débarrassé de ce qui finit par lui apparaître comme un fardeau (même s’il a accepté un rôle dans le nouveau film de Paolo Sorrentino), devoir interpréter le rôle de l’écrivain. Il écrit parce qu’il ne pouvait faire autrement, se refuse à citer le moindre romancier qui pourrait l’avoir influencé, et basta. Il a quitté Vienne, sa ville natale, à 30 ans ("jusqu’au début des années 80, Vienne, c’était une ville du bloc de l’Est", assure-t-il), pour Berlin. Il n’y revient que de loin en loin pour voir son père, qui fut plombier, et sa mère, une secrétaire qui l’initia aux joies de la lecture. Il ne veut pas parler, si ce n’est un peu de tennis, de musique. Ce qu’il veut, avec ses livres ou dans la rue, c’est montrer. Montrer les tilleuls dans le soir, les postiches dans les loges du théâtre national, la mention lumineuse "REVOLUTION" sur un manège du Prater. Montrer, gentiment, et s’en aller. Olivier Mony

Robert Seethaler, Le tabac Tresniek, traduit de l’allemand (Autriche) par Elisabeth Landes, Sabine Wespieser. Prix : 21 euros, 250 p. ISBN : 978-2-84805-167-3. Sortie : 2 octobre.


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