« Avec ma gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec / Et mes cheveux aux quatre vents / Qui me donnent l'air de rêver / Moi qui ne rêve plus souvent ». Les paroles de Georges Moustaki n'ont rien perdu de leur force, au contraire, en cette ère de crise sécuritaire où certains prônent le repli sur soi et la haine. « Métèque, c'est un mot qui fait trembler les frontières, les réactionnaires, les conservateurs », note Abnousse Shalmani qui lui redonne de sa superbe. « C'est un mot qui pourrait être le synonyme de cosmopolite. » Pourtant, il désigne plutôt un bouc émissaire menaçant, tels les migrants). Le métèque trouve son origine dans l'Antiquité grecque : « métoïkos, celui qui a changé de résidence », que ce soit par choix ou par contrainte. Tel est le cas de l'auteure, arrivée en France à l'âge de 8 ans, lorsque sa famille a fui l'Iran de Khomeiny. Une expérience relatée dans son somptueux premier roman, Les exilés meurent aussi d'amour (Grasset 2018).
Comment s'adapter à une autre terre sans renoncer à son identité, alors même qu'on y est sans cesse ramené par les autres ? « Serais-je devenue écrivain sans la perte du pays natal ? » Shalmani évoque « le plus bel exemple de la littérature métèque : Romain Gary ». Il fait partie d'une galerie de personnages marquants auxquels elle rend hommage - Modigliani, Soutine, Chagall, la muse baudelairienne Jeanne Duval - qui démontrent que « le sens de la beauté métèque se niche dans l'absence, celle du pays natal et de l'enfance. Le Métèque authentique » est « un être sans racines, et pourtant [ses] racines [le] portent ». Historienne de formation, Abnousse explore cette figure à travers les âges, la culture et la littérature. La femme métèque, si affranchie, n'est-elle pas une créature exotique ? « On ne naît pas métèque, on le devient. Mais comment le demeurer ? », s'interroge l'écrivain.
Abnousse Shalmani renoue avec ce ton, direct et drôlatique, qui faisait le charme de l'essai Khomeiny, Sade et moi (Grasset 2014). Elle ne mâche pas ses mots pour dénoncer le racisme rampant. Elle écrit avec une gourmandise et un esprit rebelle contagieux, à mille lieues du discours victimaire. Sous sa plume, « l'étranger » redevient un « homme libre » : « Il me permet de croire encore à l'aventure humaine, à l'imaginaire qui tresse des mensonges si utiles à la survie et à la richesse d'être né ailleurs et de vivre ici. » Cette femme, bien dans sa peau, revendique : « Métèque est mon identité et ma poésie, ma chair et mon rire, ma force et ma faiblesse. »
Eloge du métèque
Grasset
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 18 euros ; 198 p.
ISBN: 9782246821359