29 AOÛT - PHILOSOPHIE France

Jacques Rancière s'est beaucoup intéressé à l'histoire, à sa signification, à ce qu'on lui fait dire. A l'occasion de l'exposition "Face à l'histoire" organisée en 1996 au Centre Pompidou, il avait donné deux textes, le premier pour introduire une série de films documentaires, le second pour l'imposant catalogue. Introuvables depuis des années, les voici réunis.

Jacques Rancière- Photo DR

Ils s'inscrivent bien dans la démarche de ce philosophe, né en 1940, élève de Louis Althusser à Normale sup, qui articule savamment poétique et politique. A 25 ans, il cosignait Lire le Capital (Puf, « Quadrige ») et en 1981 il publiait sa thèse d'Etat, La nuit des prolétaires (Fayard), sur l'émancipation ouvrière et les utopistes au XIXe siècle. L'histoire s'inscrit donc comme un élément essentiel dans sa réflexion. Une histoire qui ne s'arrête jamais, car, pendant que nous l'observons, pendant même que nous y participons, elle continue.

Dans Figures de l'histoire, il est question de la représentation de ce qui a été, donc de l'histoire à travers le pouvoir de représentation des images de l'art. Godard, Farocki, Straub et Huillet, Flaubert, Mallarmé, Nietzsche et quelques autres servent de repères à cet itinéraire cinéphilique et littéraire où l'image est convoquée comme auxiliaire, mais aussi quelquefois comme acteur à part entière.

"Le cinéma parle de l'histoire en faisant l'inventaire de ses moyens de faire de l'histoire, dans le double jeu des raisons et de leur suspens." Il n'est pas d'image qui ne dise quelque chose de ce qui est admis par l'histoire. Certains films nous montrent aussi ce que nous ne voulons pas voir, l'invisible qui crève les yeux. Ils accèdent alors au rang de documents. Mais, le plus souvent, le cinéma se contente de ne montrer que le visible, et cela depuis le premier film, La sortie de l'usine Lumière à Lyon. Ce qui se passe à l'intérieur, dans l'usine, reste à imaginer et est rarement exposé, constate Jacques Rancière.

Le philosophe, qui a longtemps enseigné à l'université Paris-8, estime à propos des relations que l'histoire entretient avec l'image qu'il faut retourner la formule d'Adorno, lequel considérait l'art impossible après Auschwitz. "C'est l'inverse qui est vrai : après Auschwitz, pour montrer Auschwitz, seul l'art est possible, parce qu'il est toujours le présent d'une absence, parce que c'est son travail même de donner à voir un invisible, par la puissance réglée des mots et des images, joints ou disjoints, parce qu'il est ainsi le seul propre à rendre sensible l'inhumain."

Comme toujours avec Rancière, on est saisi par la densité du propos, le choix des mots, la non-dilution du raisonnement. Là où tant d'autres écrivent beaucoup pour dire peu, lui dit beaucoup en peu de mots. Il irait même jusqu'à laisser son lecteur compléter le raisonnement. Ce qui est une belle qualité pour un philosophe.

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