Femmes de ce monde. Le livre s'ouvre sur une scène de coït entre Barbie et Ken orchestrée par deux enfants. « Comme dans la vraie vie, les Barbie doivent parfois faire des choses auxquelles elles ne consentent pas. » Trouvant Ken sans grand intérêt, la narratrice préfère que sa poupée Maxime fasse l'amour avec son autre Barbie favorite, Claude. Mais très vite, elle comprend qu'elle devrait garder pour elle le secret de ce scénario lesbien. Tout comme elle ne parle à personne du film érotico- romantique qu'elle s'invente, avec sa propre mère érigée en vedette. Dans ce deuxième roman, Je vous demande de fermer les yeux et d'imaginer un endroit calme, Michelle Lapierre-Dallaire, l'autrice du très remarqué Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c'était par amour ok (Le Nouvel Attila, 2023), explore la figure de la mère au travers d'un habile détournement du complexe d'Œdipe. « Ma mère est cet endroit où le mouvement est perpétuel et inlassable. »
En faisant le récit de son enfance avec une mère célibataire et alcoolique, la narratrice traduit une relation fusionnelle et intime ainsi que la douleur de se sentir finalement rejetée pour cause de ne pas correspondre à ses attentes. Fascinée par une histoire d'amour de jeunesse que sa mère lui raconte, elle s'imagine qu'elle serait l'incarnation de ce jeune homme « revenu pour elle, pour apaiser ses pleurs, [pour] la sauver [...], pour la consoler ». Sentiment de culpabilité permanent, désir de se fondre totalement en sa mère... La narratrice est « tiraillée entre l'homme [qu'elle devrait] honorer et remercier, et la femme [qu'elle aimerait] être. » C'est le futur ex-mari de sa mère qui tranchera : en lui enlevant sa mère puis en s'invitant dans sa chambre à elle. « Et tandis que mon enfance finit d'être balayée, je reçois la bénédiction du sexe. » Serait-elle devenue, elle aussi, à 11 ans, « une femme désormais ouverte et baisable » comme sa mère, avec laquelle elle partage le désir du même homme ?
Tout aussi cru et poignant qu'Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c'était par amour ok, ce nouveau roman est lui aussi une autofiction. Michelle Lapierre-Dallaire poursuit son récit d'enfance vers une adolescence ponctuée par des soirées d'ivresse que lui impose sa mère et qui aboutissent toujours par l'arrivée d'un nouvel homme avec qui elle passe une nuit bruyante. C'est au cours des ébats de sa mère avec des inconnus que la jeune fille, isolée dans sa chambre, découvre son penchant pour la scarification : « J'associe l'automutilation à ma jouissance. Je ne parviens pas à mourir, mais j'essaie sans arrêt. »
Dans ce texte consacré à « une femme dans ce monde-là », à cette mère brisée par ses relations avec les hommes, l'autrice convoque Nelly Arcan, Virginie Despentes, Monique Wittig ou encore Paule Baillargeon, et confirme sa plume piquante, précise, ardente, qui exprime tout à la fois la rage, l'amour, la honte, la violence, le deuil et l'articulation de toutes ces émotions intensément vécues en un court laps de temps, à l'aube de l'âge adulte.
Je vous demande de fermer les yeux et d'imaginer un endroit calme
Le Nouvel Attila
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 19 € ; 208 p.
ISBN: 9782487749023