"Au commencement était l’écriture. Tout ce qui existe vient du monde des histoires. Et tout ce qui existe retourne toujours au monde des histoires." Une boucle parfaite que Kossi Efoui épouse à merveille, quel que soit son mode d’expression. Tantôt écrivain, tantôt homme de théâtre, il creuse le sillon d’une Afrique chaotique. En témoignait déjà Solo d’un revenant (Seuil, 2008), prix des Cinq continents de la francophonie, qui s’imposait par une langue chantante, poétique, magnétique.
Son nouveau roman fait résonner un écho résolument féminin. A commencer par celui de Grace, la mamy magicienne qui vit en harmonie avec la nature, le cosmos et "l’Invisible". Un savoir ancestral transmis à l’ombre des acacias, où l’on inhume le placenta des nouveau-nés. Io-Anna n’a pas cette chance, elle enchaîne les fausses couches. Inconsolable, elle se transforme en "squelette silencieux". Cette femme est pourtant une révoltée, qui a osé défier l’ordre paternel en refusant un mariage forcé. Mais "parfois, il faut plus d’une mère pour faire un enfant", lui susurre doucement sa belle-mère, Grace.
Sa prière est exaucée de façon inattendue avec l’apparition de Joyce. Cette petite fille a connu l’errance, en raison des conflits en cours dans le pays. Une violence qui pousse des gamins à recomposer une tribu précaire, "dans un campement de tôles et de containers". Joyce devra fuir plus d’une fois, avant d’être recueillie dans les bras aimants de Io-Anna. "L’enfant de la promesse" n’oubliera pas son parcours cabossé. Influencée par son grand-père photographe, elle devient le témoin d’un continent africain en déroute.
C’est là que le roman de Kossi Efoui prend une autre tournure. Il quitte le cocon de l’intime pour montrer les plaies d’une terre, unie à sa chair. "Mes ancêtres ont fait ce pays", or "le Togo s’embrase", avant de "patauger dans une molle stabilité". Ses voisins ne semblent pas mieux lotis, tant l’indépendance des anciennes colonies n’a pas fini de secouer leurs fondations. "On ne fait pas la politique en restant dans la douleur", écrit l’auteur, qui espère que la révolution viendra des femmes et des jeunes. "Nous n’appartenons pas à l’Histoire. Nous n’appartenons à aucun pays fait de main d’homme. Nous appartenons à la lune." Kerenn Elkaïm