Problèmes de transmission. Sous l'impulsion de Mirabeau et de Robespierre, la Convention nationale aboutit à la loi du 17 nivôse an II (6 janvier 1794) qui établit l'héritage équitable comme principe de la transmission familiale du patrimoine en France. Ce système contribue-t-il à fabriquer et à perpétuer de l'inégalité ? Au terme de cette enquête historique, juridique et philosophique fouillée, Mélanie Plouviez (université Côte d'Azur), spécialiste de la philosophie sociale et politique du XIXe siècle, répond par l'affirmative. D'autant qu'au XIXe siècle, par excellence le siècle de l'héritage comme l'a si bien illustré Balzac, il y eut des penseurs comme Johann Gottlieb Fichte, Prosper Enfantin ou Émile Durkheim pour le remettre profondément en cause, Durkheim prônant son abolition pure et simple : « La propriété individuelle est la propriété commençant et finissant avec l'individu. » Mélanie Plouviez s'appuie aussi sur les travaux de Thomas Piketty, notamment Le capital au XXIe siècle (Seuil, 2013) - plus de 2,5 millions d'exemplaires vendus dans le monde dont 300 000 en France. L'économiste y expliquait que la fiscalité est un élément déterminant de la disparité sociale.
Après avoir documenté les origines du système actuel, Mélanie Plouviez explore les écrits des saint-simoniens et des penseurs socialistes. Son étude est importante parce qu'elle interroge la notion de travail et de solidarité à une époque où l'on débat sur les retraites et le déficit de l'État. Car repenser la transmission du patrimoine, c'est aussi redécouvrir un abondant corpus de textes produits essentiellement au XIXe siècle sur ce sujet, soit 140 000 ouvrages et 50 000 auteurs, qui constitue le programme de recherche collective PHILHERIT - philosophie de l'héritage en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France.
Désormais, il faut faire avec l'allongement de la durée de vie, au cœur du débat sur les retraites. Il est aussi déterminant dans celui de la transmission du patrimoine. À l'époque d'Ursule Mirouët, on héritait jeune en épousant des dots. Désormais, ce sont le plus souvent des vieux qui héritent de très vieux. C'est pourquoi Mélanie Plouviez détache la question de l'héritage de sa seule fiscalité pour en faire l'outil d'une meilleure justice sociale, sachant que le plus grand nombre ne possède et ne transmet rien. Elle imagine ainsi une redistribution grâce à la fiscalité successorale, une sorte de cotisation sociale post-mortem.
Mirabeau considérait que ce n'est pas la parenté qui fait l'héritage, c'est la loi. Juridiquement, c'est l'État qui devient propriétaire des biens du défunt et qui les transmet à ceux qu'il détermine comme héritiers via les droits de succession. Il pourrait donc décider autrement. La mort changerait le statut des propriétés du mort. Ce n'est plus « combien je lègue ? » qui compterait, mais « à qui ? ». Ces propositions parfois dérangeantes dans leur radicalité, tirées de textes oubliés, incitent comme l'avaient fait Bourdieu ou Rawls, à élargir la notion même d'héritage à ce que nous laissons aux autres au-delà du seul capital.
L'injustice en héritage. Repenser la transmission du patrimoine
La Découverte
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 23 € ; 368 p.
ISBN: 9782348078804